mardi 30 octobre 2007

Mehdi "Lbantouri" - (25) - Le Silo aux grains (Fin)

Mehdi venait à travers cette brève palabre de découvrir que les vents se sont de nouveau retournés contre lui et commençait à appréhender difficilement son avenir proche.

L’attente languissante du retour du maalem et avec lui le verdict de ce jugement unilatéral, était insupportable pour Mehdi au point qu’il souhaita une sentence dans l’immédiat, plutôt que cette lenteur assommante. Il se disait que toutes ses économies allaient y passer pour payer les dommages causés par ces diablesses de chèvres.

Soudain, Si Ali poussa violemment la porte et se rua sur Mehdi, qu’il arracha de son lit et se mit à le secouer de toutes ses forces en houspillant : « Je ne sais pas ce que je vais faire de toi !!». Il prit Mehdi par le cou et le poussa dans les mains de Si Ahmed avant de vociférer :

- tu vas me mettre cet âne tout nu dans la Matmora (le silo) !
- Quoi dans la matmora ?
- Tu as bien entendu dans le silo avec le grain et tout de suite !!
Au passage il donna une bourrade au gosse et ressortit comme un ouragan de la pièce, furibond qu’il était.

Ainsi tomba le verdict, tel un couperet et Mehdi qui croyait qu’avec ses petites économies il pouvait s’en sortir, n’en revenait pas. Il eut peur, au point qu’il en devint capon et se mit alors à supplier Si Ahmed de garder ses habits en raison du froid qu’il faisait. Mais celui-ci ne l’écouta point et se mit à exécuter la sentence en arrachant les habits de l’adolescent sans vergogne seul le dessous qui recouvrait ses parties charnues fut épargné.

Mehdi fut trainé jusqu’à la matmora, une excavation dans le sol sur deux mètres de profondeur et trente mètres carrés de surface dotée d’un trou d’homme en guise d’accès. Il fût descendu au fond, accompagné par son ange gardien. Quand il toucha le fond, il sentit sous ses pieds nus la friction des grains de blé emmagasinés dans le silo.
Alors que ses yeux commençaient à peine à s’habituer à la pénombre du silo, il reçut en pleine tronche un coup terrible qui le fit tomber à la renverse. Il eut juste le temps de se recroqueviller pour supporter les coups qui ont commencé à pleuvoir. Il su alors que ce traitement spécial était compris dans la sentence et que Si Ahmed se transforma, dans le noir qui cachait son forfait, en bourreau inhumain contre un pauvre garçon, misérable et ilote. Le pauvre Mehdi, qui croyait qu’une simple contrition ou un repentir déclaré pouvait le sauver de cette impasse, se fourrait le doigt dans l’œil et gisait maintenant sur une couche de blé tout nu et plein d’ecchymoses.

Quand il fut finalement abandonné à son sort, Mehdi pleurait en silence et à chaude larme. Les humeurs de la race humaine et caprine se superposaient dans son esprit, voire se confondaient à plus d’un titre. Seule différence qu’il observait c’est que ses chèvres gambadaient pour se nourrir alors que ses congénères à lui se nourrissaient pour s’agiter dans tous les sens sans aucune harmonie provoquant le désordre chez les êtres de leur espèce.

Petit à petit, il reprenait ses esprits et commençait à réaliser combien la vie était dure pour lui. Combien de défaites devra-t-il encore essuyer avant d’avoir le dessus. Aura-t-il encore le courage de combattre après ce coup bas du destin. La mort ne serait pas plus clémente pour lui ? Pourquoi ces gens ont voulu sa perte alors qu’en battant le blé, en l’égrenant, en le stockant, ils visaient la vie.
Que de questions que son entendement ne pouvait appréhender fusaient dans son esprit. Se lamentant, des heures durant, tantôt de son corps avachi, tantôt de son âme bafouée, Mehdi se torturait à vouloir expliquer ce qui lui arrivait et toute la hardiesse qu’il croyait avoir acquise, s’effilochait en ces instants de grande peine.
Dans son heure de misère extrême, il n’avait pas remarqué que le calme de la nuit avait couvert les cieux et que les quelques bribes de lumière du jour qui filtraient à travers les fentes de la trappe avaient cédé la place aux ténèbres.
La chaleur que le silo avait emmagasinée de jour commençait à dépérir, l’air suffoquant du jour se remplaçait par des filets d’air froids et glaciaux. Le silence tombal ajoutait une touche tragique à l’événement. Résigné finalement à son sort, avoué vaincu, le puni, par instinct de conservation, se recouvrit le corps de graminées qui retenaient encore la chaleur en profondeur.

La fatigue, aux effets psychique et somatique conjuguées, vint au bout de l’adolescent qui dans une posture d’inhumé, bien au chaud, à l’exception de la tête qui émergeait de cet amas céréalier que la providence a mis sur son chemin, peut être pour le préserver du froid et de sa nudité qu’il ne supportait pas lui-même, ferma les yeux et plongea immédiatement dans un sommeil profond.
Alors que la nuit avançait, un bruit de pas qui se rapprochaient, fit sursauter Mehdi qui à demi éveillé hésitait encore à donner raison à ses sens. Le rêve et la réalité étaient enchevêtrés dans son subconscient et affectaient sensiblement son discernement.
Néanmoins, il souleva sa couverture naturelle, se releva sur son séant et guetta le moindre son en direction des hommes d’en haut, des vivants. Lui le survivant d’en bas, le mort prochain qui se sentait désormais dans la demeure des ombres n’attendait plus de ceux d’en haut que le coup fatal qui l’enverrait dans l’au delà vers ses infortunés semblables.
Le son à peine audible au début d’intensifia et avec lui l’angoisse de Mehdi qui se soustrayant rapidement de son terrassement, alla se plaquer contre la paroi profonde du silo, au coin le moins exposé. Dans sa hâte et sa misère, il s’agitait sans s’en rendre compte en projetant, tel un chien mouillé, en guise de gouttelettes d’eau, des grains de blé encore collés à sa peau.

Finalement le tampon du trou d’homme pivota et la lumière d’une lampe à pétrole fraya les ténèbres.

- Mehdi, Mehdi où es tu ? Montres toi ! lança une voix d’homme.

Mehdi figé dans son coin ne répondit point et se contenta d’attendre. Sera-t-il tabassé encore une fois, serait-ce son méchant geôlier qui vient remettre une couche. Dans le doute, il se tut.

- Mon Dieu, il est peut être mort. Lança une voix de femme.
- Mehdi, se mit –elle à crier, c’est moi Fatna, tu n’as rien à craindre, je t’ai apporté tes habits, montres toi !
Un paquet, presque instantanément, tomba sur une butte de grain et se roula de côté.
Mehdi n’en croyait pas ses oreilles, la femme du Maalem qui s’est elle-même déplacée pour lui ? Il se savait apprécié par la gente féminine du Douar mais pas à ce point.

- Lalla fatna, se hasarda Mehdi, Dieu te garde, je veux que ce lieu soit ma tombe, je ne veux plus remonter, envoyez de la terre, du grain ou tout ce qui peut ensevelir, je n’ai rein à faire chez les vivants ingrats, la vie est trop injuste pour moi.

- Mon Dieu, je l’ai dit à Si Ali, le châtiment est trop démesuré. Cours vite chercher une échelle, il faut descendre le remonter tout de suite ! s’adressa Fatna à l’homme qui l’accompagnait.

En entendant ces propos, Mehdi commença à enfiler ses frusques ou ce qui l’en restait. Il savait pertinemment que Lalla fatna ne le laisserait pas partir en paix vers sa destination escomptée.

Après quelques tractations Mehdi fût contraint de quitter sa retraite involontaire.

Quand il fut debout devant Lalla Fatna,la face éclairée, elle ne put s’empêcher de s’écrier de stupeur et de désarroi, on aurait dit qu’elle aurait vu le diable. Les cheveux ébouriffés, un œil au beurre noir, une arcade sourcilière fendue sans parler des bleus et des écorchures sur les bras de l’adolescent, on aurait dit un revenant.
Elle pensa tout haut que Si Ahmed n’y est pas allé de main morte. Elle tira l’enfant vers elle et lui caressa les cheveux en signe de réconfort.
Mehdi ne comprenait rien aux lubies du sort, le geste aimable de cette bonne dame à l’opposé de la rudesse de son mari, lui fit verser des larmes brulantes et rebelles qui ruisselaient sur des pommettes difformes et éraflées.

dimanche 28 octobre 2007

Mehdi "Lbantouri" - (24)- Le silo aux grains (7)

Un jour, alors que Mehdi sortait son troupeau, Si Ahmed lui dit de ne pas trop s’éloigner du village car l’orage menaçait et cela pouvait devenir dangereux pour le cheptel du maalem (maitre).

Mehdi prit note et resta aux abords du village. Calfeutré dans sa djellaba, adossé à un arbre, dans une position confortable, il surveillait ses caprins, ovins et bovins sans se soucier du temps qu’il faisait. Mais le cumul de la fatigue de tous les jours, la position de tout repos qu’il a adopté lui jouèrent un mauvais tour. Il s’assoupit, baissant ainsi sa garde au destin qui était aux aguets et épiait les moments de faiblesse de sa victime pour lui porter une estocade.

Une demi heure plus tard, qui parut pour lui une éternité, il se réveilla en sursaut, écarquilla les yeux et se mit tout de suite à compter ses bêtes, convaincu que le sort était en perpétuel conflit avec lui et que celui-ci attendait le moment opportun pour lui déballer son invincibilité et sa rudesse.

Quand il découvrit la perte de ses trois bêtes, il comprit qu’il venait d’être lâchement agressé, au moment où il s’attendait le moins et s’apprêtait déjà à dire adieu à son travail.

Il reprit le chemin du retour avec l’espoir que ces trois chèvres auraient fait de même surtout qu’elles paissaient seulement à quelques cinq cents mètres du Ksar.

Arrivé à hauteur du Ksar, Mehdi avait la tremblote, non en raison du froid qui sévissait mais il pensait déjà au pire. Quand il vit Si Ahmed debout au coin de l’allée, les bras croisés, il sentit le roussi et savait que tout allait mal tourner pour lui. Mais il se disait toujours que les trois chèvres étaient sûrement retournées seules et que cela se passerait pour lui sans anicroches.

Quand il arriva à sa hauteur, celui-ci lui somma de faire rentrer les bêtes directement à la bergerie et de se présenter à lui immédiatement. Mehdi remarqua au passage qu’il n’y avait point de chèvres dans l’enclos, ni même dans la bergerie. Ses espoirs de clémence du sort s’évaporèrent incontinent et s’apprêta à passer un mauvais quart d’heure.

Une fois de retour chez Si Ahmed et sans aucune explication, Mehdi fut empoigné et poussé dans son réduit.
- tu ne bougeras pas d’ici jusqu’au retour de Si Ali !
- laisses moi, au moins, aller chercher les chèvres égarées avant que la nuit ne tombe.
- Pas la peine les trois chèvres ont été prises comme éléments de preuve par notre voisin Ouallal. Elles ont sautés la clôture de son verger et ont dévastés plusieurs lignes de laitue. Exactement comme cela s’est passé avec ton prédécesseur.
- Je vais alors lui demander pardon et ramener les chèvres répliqua Mehdi
- Oh cette fois-ci, il ne veut rien savoir, il est allé déposer plainte chez le chef de tribu et demande réparation du dommage causé.
- Je ne peux vraiment rien faire.
- Non absolument rien, j’ai pour consigne de te retenir dans ton réduit jusqu’au retour de Si Ali, alors ne me rend pas la tâche difficile, allonge toi sur ton paillasson et tais toi.

jeudi 25 octobre 2007

Mehdi "Lbantouri" -(23) - Le silo aux grains (6)

Beau programme en perspective, se disait Mehdi, mais le spectre de son père était tellement encore présent qu'il était prêt à tout pour rester loin dans le rural profond, prêt à s’envoler dans la nature et faire perdre sa trace. C'étaient ses seules envies du moment.

La première journée fût dure pour lui. Sous l’œil inquisiteur de Si Ahmed, qui voulait s’assurer que son garçon de bergerie connaissait bien son métier, Mehdi accomplit rondement sa tâche avec une aisance déconcertante.
Il reconnaitra plus tard que quand le troupeau est hétérogène et que le berger est obligé de gérer les humeurs plutôt galopantes des chèvres associées à celles des vaches plutôt nonchalantes c’est bien le pire des métiers sur terre.

Les journées se suivaient et se ressemblaient pour Mehdi. Ses employeurs remarquèrent son ardeur au travail. Il remplissait son contrat avec brio et en bonus, il donnait un coup de main dans le nettoyage des devantures de la maison, puisait l’eau, trayait les vaches rendant ainsi de fiers services à la maitresse de maison.
Par temps de pluie, où les sentiers n’étaient pas praticables pour conduire son troupeau, Mehdi accompagnait les hommes aux champs de plein gré et se défendait de rester les bras croisés.

Avec le temps il gagna l’estime de tout le monde dans le Ksar et notamment la gente féminine, à laquelle il dévoila ses connaissances, à son âge, de l’art culinaire.

Deux années s’écoulèrent alors que la colonisation rurale se développait d’avantage. 57 000 hectares de lots officiels furent distribués et près de 200 000 hectares achetés par des particuliers en 1922, tandis que le nombre d’immigrants européens augmentait sans cesse et atteignit 40 000 entre 1919 et 1922.

Les retombées de la premières guerre mondiale se ressentaient au Maroc par le rapatriement des rescapés de Verdun 1916, tous des goumiers blessés, pour la plupart estropiés, borgnes et souvent rafistolés à la hâte dans les camps des blessés.

lundi 22 octobre 2007

Mehdi "Lbantouri" -(22)- Le Silo aux grains (5)

A ce moment là Si Abdellah revient s’asseoir à côté et la discussion démarra tout de go autour d’un verre de thé.
- tu t’appelles comment mon fils ? Commença Si Ali.
- Mehdi
- Un nom qui n’est pas de chez nous
- Je viens en fait de très loin, je suis né à Marrakech, grandi entre Casa et Settat jusqu’à onze ans, ensuite Mogador et enfin les 3 dernières années dans le Douar de Khemiss Maskala.
- As-tu déjà fait le berger auparavant ?
- Oui, de temps à autres
- Bien, alors si Ahmed que voici va te prendre en charge pour te montrer ce que tu dois faire, tu seras logé, nourri et tu auras un réal par mois.

Si Ahmed enchaina tout de suite pour déballer tout le plan de charge de la nouvelle recrue. Il n’attendit même pas l’avis du concerné, complètement convaincu que celui-ci n’avait pas le moindre choix. Cela se lisait sur son visage. Mehdi devait alors s’occuper de faire paitre un troupeau hétérogène composé de chèvres et de vaches . Il devait nettoyer la bergerie, ravitailler les mangeoires en foin, les abreuvoirs en eau, traire les vaches au besoin….

Mehdi acquiesça de la tête, plus soucieux d’avoir un gît et de la nourriture que de négocier ses émoluments.

Si Ahmed lui montra tout de suite un réduit, pas très loin de la bergerie, où il n’y avait qu’un vieux paillasson à même le sol. Mehdi y déposa son balluchon et rejoignit sur le champ son nouveau contre maitre à la bergerie pour recevoir le détail des tâches qui lui incombent.
Il devait sortir, chaque jour, le troupeau, le parquer dans l’enclos, revenir ensuite à la bergerie, y faire place net, aller conduire le troupeau dans des pâturages indiqués selon un parcours précis pour ne pas toucher aux vergers mitoyens des autres fermiers du village. Surveiller toute la journée le cheptel, le ramener avec les mêmes précautions jusqu’à la bergerie. Alimenter l’auge et l’abreuvoir, refermer la porte et la cadenasser, remettre la clé à son contre maitre avant d’aller récupérer sa pitance pour s’engouffrer ensuite dans son réduit pour la nuit.

jeudi 18 octobre 2007

Mehdi "Lbantouri " - (21) - Le silo aux grains (4)

Arrivés devant la porte Si Ali se retourna et fit signe à Mehdi d’attendre un moment, puis il pénétra à l’intérieur.
Quelques minutes plus tard, il fût prié, par la même personne qui l’avait reçue le matin même, de rentrer. Il découvrira plus tard que ce grand gaillard était l’un des beaux fils de Si Ali ainsi que son future contremaitre.

Une fois à l’intérieur, plusieurs éléments retinrent son attention. L’accès donnait directement sur une cours à moitié couverte et entouré de préaux avec plusieurs arcades sur tout le périmètre. Les murs sont peints à la chaux, teintés en ocre jaune sur une demi-hauteur. Une fine bande bleue marquait la transition de l’ocre vers le blanc qui montait jusqu’au plafond.
A ce moment Mehdi fût invité de s’asseoir dans un coin sous le portique qu’il venait juste de traverser. Une fois sur un genre de matelas en alfa à même le sol et adossé au mur, il se pressa de reprendre de scruter l’intérieur de la maison au point où il fût interrompu.
Ainsi le plafond n’y réchappa pas et Mehdi découvrit qu’il était fait de planches bien découpées et montées d’une manière oblique sur des madriers bien travaillés en guise de supports, le tout bien poncé et peint en vert bouteille.
Mehdi avait alors un étrange sentiment. S’il avait à choisir, il aurait préféré s’adosser au mur nu et parsemé de brindilles de pailles de son asile d’hier plutôt que le mur peint de Si Ali. L’atmosphère, malgré l’aisance évidente de son nouveau employeur, était très lourde et Mehdi n’y voyait pas une once de la chaleur humaine inhalée à pleins poumons chez si Abdellah.
Comme quoi, se disait-il, l’argent n’est sûrement pas le seul ingrédient pour avoir le bonheur.

lundi 15 octobre 2007

Mehdi "Lbantouri" -(20) - Le Silo aux grains (3)

Cette attente imprévue au programme le gênait quelques peu. Il était pressé d’avoir une réponse et ne voulait pas être obligé encore de demander asile pour une deuxième nuit dans le village.
Le sort le languissait, le taquinait, ne lui donnait pas de prises faciles, sûrement parce que celui-ci savait qu’il avait affaire à quelqu’un d’obstiné, chacun dans ce bras de fer virtuel voulait avoir le dernier mot, c’était au plus fort, au plus résistant. Mehdi, lui ne se posait pas trop de questions, il fallait parer au plus pressé, trouver un travail, pour survivre. Il ne se lamentait point et bravait toutes les situations fussent-elles des plus inextricables, pour arriver à ses fins et se mettre à l’abri des aléas.
Ces réflexions lui prirent plusieurs heures dans la même position, qu’il ne changeait de temps à autres que pour reposer ses flancs.

Enfin, il aperçu au loin un attelage dévalé la pente à l’autre bout du village et comprit qu’il pouvait s’agir de Si Ali qui rentrait de voyage.
Il se releva, ramassa ses frusques et revint sur ses pas en direction du village. Il allongea la foulée dans le but d’intercepter l’attelage avant son arrivée au ksar de Si Ali.

Si Ali était l’une des rares personnes sinon la seule au village à disposer d’un attelage aussi bien confectionné.
Il s’agit d’une charrette à deux grandes roues en bois tirée par un mulet. Sur le devant du véhicule, un banc a été monté pour recevoir le conducteur et un passager. A l’arrière tout l’espace restant est réservé pour le convoyage de marchandises achetées ou produits à vendre.

Si Ali fut vite reconnu de par ses habits par Mehdi qui était déjà debout à l’entrée du Ksar. C’était un homme trapu, moustachu, vêtu d’une djellaba en laine blanche et d’un turban jaune ocre. Les doigts forts et poilus sur le revers de la main révélaient la force qui émane de cet homme sur lequel le poids des années ne semble avoir aucun effet.

- Salam Oualikoulm Si Ali,
- Oualikoulm Salam ?
- Je suis en quête de travail et M. Mohamed le premier habitant à l’entrée du village m’a dit hier que vous cherchiez quelqu’un pour travailler aux champs.
- Oui, mais ce fut il y a deux semaines. Par contre j’ai besoin d’un berger pour mes caprins et mes vaches, si vous êtes intéressés.
- Oui bien sûr
- Bien, alors, rentrons à l’intérieur et nous discuterons de cela.

Si Ali descendit du véhicule, Mehdi lui ouvrit le passage et lui emboita le pas, l’angoisse qu’il avait ressentie le matin commençait à se dissiper, il sentait que cet homme avait une personnalité assez forte et qu’il avait toutes les chances de s’entendre avec lui.

vendredi 12 octobre 2007

Mehdi "Lbantouri" (19) - Le silo aux grains (2)

Le chemin montait un peu et juste à la fin d’une succession de masures Mehdi s’arrêta devant un ensemble de logis collées les uns aux autres, et entourés d’un muret en pisé d’une hauteur d’un mètre environ. Une petite clôture, faite de pieux en bois mal élimés, placés en cercle et envahis par des ronces de toutes parts , indiquait l’emplacement du parcage des animaux. Un baraquement tout au fond, disposant d’un grand portail en bois complètement béant et rabattu sur le flanc gauche laissait apparaître dans la pénombre, des animaux de traite entrain de se gaver de foin.
Mehdi se disait que ce petit ksar devait appartenir à un riche propriétaire. Serait –il la personne qu’il recherchait ? En l’occurrence Si Ali dont si Mohamed venait de lui parler ?
Il décida de confirmer ces présomptions en demandant à un passant.

- Monsieur, que Dieu vous garde ! Est-ce bien là où habite Si Ali ?
- Oui Monsieur, prenez la petite allée et frappez à la première porte que vous trouverez sur votre gauche.

Mehdi remercia son informateur et s’engouffra dans l’allée pour rejoindre la maison indiquée, quand un homme, haut de taille en sortait et venait à sa rencontre.
Mehdi s’arrêta par respect pour l’attendre.

- Salamou Alikoum, que Dieu soit miséricordieux pour vos parents, je cherche Si Ali.
- Il n’est pas là, il est à Mogador, il ne rentre que ce soir.
- Je suis à la recherche d’un travail et on m’a conseillé de venir le voir.
- Ce n’est pas le travail qui manque, mais il faut attendre Si Ali, lui seul en décidera. Revenez après la prière de l’AASR.

Mehdi n’eut d’autres choix que de rebrousser chemin vers l’entrée du Ksar, sentant rivé sur lui, derrière son dos, le regard méfiant de son interlocuteur.

En quittant l’allée il prit la direction de la montagne, marcha sur quelques kilomètre et alla se mettre à l’ombre d’un arganier car le soleil s’approchait déjà du zénith. De sa position, il surplombait maintenant tout le village. Il voyait les habitants, les uns à proximité de leurs chaumières, les autres dans les champs et d’autres encore dans les vergers situés au point le plus bas du vallon. Chacun vaquait à ses tâches et Mehdi, les enviait pour cela et se disait, déjà à cet âge là, que l’homme est celui qui travaille. L’oisiveté et les loisirs ne représentaient rien pour lui, parce qu’il n’en a jamais goûté, ce trait de caractère ne le quittera plus jamais jusqu’à la fin de ses jours.
Il se voyait déjà dans les champs plié en deux, entrain de bêcher ou dans un verger entrain de colmater les nœuds des seguias (rabtat), chose qu’il maitrisait et pouvait entreprendre sans grande difficulté.

mardi 9 octobre 2007

Mehdi "Lbnantouri " -(18)- Le silo aux grains (1)

Aux premières lueurs de l’aube, Mehdi était déjà sur pieds, quand il fût rejoint par son hôte qui lui ouvrit la porte et lui indiqua le chemin du petit coin pour faire sa toilette.
En sortant de la porte Mehdi découvrit, hormis le chien aux aguets mais moins hostile que la veille, le paysage limitrophe à la masure qu’il n’a pu apprécier la nuit à son arrivée.
Le jour levant lui apporta des réponses aux questionnements qu’il se posait. La nature encore abasourdie par la gelée matinale, atone et muette, par respect pour les êtres commensaux qu’elle abrite, offrait, de très près à Mehdi des facettes qu’il ne lui connaissait pas. L’arganier, l’olivier, le thym vivant en symbiose dans un écosystème un tantinet féerique, de son point de vue, esquissaient un tableau peu commun à ses yeux. Un engouement que son hôte dont les sens habitués à son périmètre immédiat ne partageait pas avec son invité.
Après avoir fait un brin de toilette, prit un petit déjeuner Mehdi obtient de son hôte le nom d’un villageois qui cherchait un ouvrier pour travailler aux champs. Il le remercia pour sa bienveillance et prit la direction de la maison de Si Ali un employeur potentiel à ses yeux.

Il devait traverser tout le douar pour arriver à sa destination et chemin faisant, Mehdi sentait le regard des quelques passants matinaux se poser sur lui. Un étranger qui débarque dans ce petit bourg est vite repéré. Mehdi malgré son accoutrement propre à la région, il était dénoncé par son balluchon ainsi que par l’impression qu’il donne à vouloir scruter tout sur son passage. Son allure et sa démarche incertaines, aux yeux des autres, le trahissaient peu ou prou. Mehdi devait passer par un chemin muletier et sinueux qui se faufilait au milieu des masures, par endroit très étroit, au point qu’il lui arrivait de se mettre de côté pour laisser passer l’autre usager de la piste. Le salut « Paix sur vous » coutumier et implicite ne manquait jamais à ces croisements et dans n’importe quelle circonstance. Il avait déjà appris que pour pénétrer un nouveau milieu sans causer de remous, il fallait mettre ses nouveaux concitoyens à l’aise en respectant leurs us et leurs manières de vivre.

mardi 2 octobre 2007

Mehdi "Lbantouri" -(17)- Le sens de l'asile

A l’approche de la première chaumière, les aboiements d’un chien se faisaient entendre de loin, mais averti comme il l’était, Mehdi s’arma tout de go de deux gros cailloux et continua son chemin d’un pas assuré. Quand soudain les aboiements du chien s’estompèrent et un rayon de lumière vint couper l’épaisseur de la nuit juste au devant de lui.
Mehdi se retourna et vit une personne debout sur le seuil de la maison, entrain de calmer son chien. Celui-ci, comme désenchanté de ne pouvoir goûter au mollet du visiteur, poussait des cris mélangés de grognements qui en disaient long sur ses intentions.
Maintenant Mehdi était entièrement éclairé et salua le propriétaire de la main. La taille de l’enfant mit la personne en confiance qui s’enhardit à avancer vers lui pour s’arrêter à quelques mètres de la clôture en pisé qui entourait son logis.
Mehdi demanda asile pour la nuit et expliqua rapidement qu’il venait d’un douar à proximité de Khémis Meskala et qu’il était en quête de travail.
La demande d’asile fut acceptée et Mehdi fut prié de renter chez son hôte pour la nuit.
La nuit noire et le coin de l’œil qu’il usait pour surveiller le chien belliqueux devenu très pressant à l’approche de la porte l’empêcha de se faire tout de suite une idée sur l’extérieur du logis de son hôte.
Mais une fois à l’intérieur, il se retrouva dans une grande pièce où les murs tout en pisé laissaient apparaître par endroit des fétus de pailles bistrés donnant du relief aux enduits de terre. Deux troncs d’arbre découpés sans égards formaient un genre de péristyle et étayaient une longue traverse qui servaient de soutient aux poutrelles supportant le chaume de la toiture.
Un rideau en tissu masquait un passage vers l’arrière maison. La pièce est éclairée par une autre lampe à carbone accrochée à une esse elle-même suspendue au plafond.
A gauche, des tapis à motifs polymorphes rendant un noir lâche sur fond vermillon ou jaune foncé, étaient étalés sur un demi-périmètre de la pièce au dessus d’une grande natte en joncs entrelacés qui frôlait le coin du feu.
Sur la droite, un métier à tisser était debout et une ébauche d’une pièce en laine à rayures noires, laissait présager la venue au monde d’une défroque pour adulte. C'est sûrement une djellaba, au pire un burnous, se disait-il.
L’âtre où quelques bûches crépitaient encore, rompant ainsi le silence, rajoutait à cet intérieur, une beauté dans la simplicité.
Ce décor, quoique rudimentaire, n’était pas nouveau pour lui mais il y trouvait cette fois-ci quelque chose de différent. Il y sentait de la chaleur humaine, de la bonhomie. Mehdi s’assit et s’adossa incontinent au mur juste en face de l’ouvrage de laine. Ce climat de détente, cette sensation de sécurité, ajoutés à sa longue marche de la journée eurent raison de lui et le plongèrent dans une somnolence à laquelle il essayait de résister. Il fermait les yeux et les rouvrait par intermittence de peur d’être surpris par son hôte de fortune.
Mohamed, son hôte qui était pendant ce long moment passé de l’autre côté du rideau, revenait avec un plateau à la main, qu’il déposa aux pieds de son jeune visiteur.
Le thé qu’il venait offrir à son invité était en ces temps là une marque du bon recevoir inné chez ces gens là.
Mehdi raconta par bribe son histoire à son hôte qui lui promit de l’aider à trouver du travail.
Mohamed prit congé de son invité, après avoir soulevé un tapis à même le sol et le remit à Mehdi en guise de couverture.