mercredi 28 novembre 2007

Mehdi "Lbantouri" -(28) - Cap sur Amezmiz

Mehdi se remit à marcher en prenant la direction du village, il avait déjà sa petite idée sur sa destination. Pour une fois, il découvrait que l’adage « à toute chose malheur est bon » avait un sens. Ce passage à tabac qu’il venait de subir lui a ouvert les yeux et prit la ferme décision de mettre fin à sa soumission, il comprit que la serviabilité et la gentillesse dont il a fait preuve durant son séjour dans ce douar n’ont eu aucun effet sur ses concitoyens qui n’ont pas levé le petit doigt pour le défendre quand il en avait besoin. Désormais il ne permettrait plus que cela se reproduise sans qu’il ne réagisse. Œil pour œil et dent pour dent serait dorénavant sa devise. Pour la première fois dans sa vie, il en voulait à tout le monde et particulièrement aux habitants de ce Douar. Poltrons et couards qu’ils étaient, ils n’ont pu se rebeller contre ce terrien, notable pour l’occupant, mais répugnant pour les siens qu’il exploitait et torturait sans vergogne. Eh Oui, qui détient l’argent, détient le pouvoir est une vérité bien établie et fort inculquée par l’occupant dans les esprits des indigènes soumis et infortunés de ces contrées.
Le démuni pour ces inopportuns n’avait pas le droit à la parole fut-il des plus érudits, c’était le préposé au crime, le rebelle potentiel, le geignard perpétuel et l’eternel insatisfait.
La tête de Mehdi s’échauffait en raison des ricochets de ces idées peu communes et avant-gardistes qui naissaient petit à petit dans sa boite crânienne, sans qu’il ne s’en aperçoive, à mesure qu’il avançait dans l’âge.
En tapotant sur le sol de ses sandales faites de sangles en cuir brute qui emmaillotent ses pieds pour coller à une semelle en caoutchouc issue de vieux pneus « Michelin », Dieu sait à quel taco ils ont appartenu, Mehdi soulevait de la poussière, preuve irréfutable qu’il est bel et bien de ce monde et qu’il comptait bien arracher à l’existence, l’aire vitale qui lui était due sans que personne ne s’y interposât.
Il se dirigea vers Si Mohamed, la seule personne après Lalla Fatna qui lui vouait une certaine inclination.
Arrivé devant sa masure, il eut droit à un furtif coup d’œil et un dressement d’oreille du chien de garde, cette fois-ci allongé derrière l’enceinte en pisé. Même le comportement de ce chien réputé pour être la méchanceté transcendée, paraissait à Mehdi saugrenu, serait-il lui aussi corrompu comme ces compères de la race humaine ? Aurait-il flairé en lui le rejeton abattu et avili ? Le descendant de la race canine quant lui se disait sûrement que les mollets de Mehdi n’en valaient plus la peine ou que ce pauvre diable, à la joue pendante, en a assez vu par ailleurs ou, difforme qu’il était, il appréhendait mal son appartenance et ne le classait point dans la race des bipèdes répertoriés à ce jour.

En tout cas son maitre était resté égal à lui-même, Si Mohamed, toujours bienveillant et contrairement aux autres était désolé pour Mehdi et était l’une des rares personnes à avoir compati. C’était aussi l’une des personnes à nourrir un certain dédain des parvenus notables à la solde de l’occupant. Mehdi comprenait enfin, par ces propos, l’excentricité de la demeure de Si Mohamed par rapport au reste du Douar. Sa vision tout à fait à l’opposé des suivistes souvent incrédules, capons ou ignares faisait de lui l’incompris du Douar, la personne dérangée et dérangeante, le clou qui dépasse. Il n’avait alors d’autres choix que de rester à l’écart, sa petite famille et lui-même vivait dans un cercle assez fermé. Le peu de visiteurs qu’il recevait expliquait son mode de vie, celui-ci même dans lequel son chien, avec son caractère irascible, s’y retrouvait.
Mehdi mit au courant son ami sur sa décision à mettre le cap sur Amezmiz, un village, limitrophe de Marrakech, dont on lui a souvent parlé en bien. Pour cela il voulait acheter une monture, un mulet de préférence. Il avait beaucoup de chemin à faire et était disposé à mettre toutes ses économies pour acquérir un équidé pour son transport. Si Mohamed approuva le choix de Mehdi et en signe de bonne amitié, lui proposa de lui vendre une mule qui trottine bien et à très bon prix. Quelques heures plus tard Mehdi était sur le chemin vers la patte d’oie de Tlet El Hanchane.

vendredi 23 novembre 2007

Mehdi "Lbantouri" -(27) - Le thé de la paix (2)

A cet instant, arriva Si Ali suivi de son gendre et contremaitre Si Ahmed.
- Alors comment tu as trouvé la « matmora » ? Tu sais maintenant ce qu’on risque quand on a failli à son devoir.
Il ne semblait guère affecté par le visage défiguré de l’enfant ni par ses habits qui partaient en lambeaux, on aurait dit qu’un troupeau de bison l’avait piétiné.
- Maintenant pour faire la paix, comme de coutume ici, tu vas préparer le thé pour moi, nous le boirons ensemble en signe de réconciliation et tout sera oublié, tu reprendras ainsi ton travail demain matin.

Mehdi n’en revenait pas. Ce fut la goutte qui déborda le vase. Tellement sa haine fut en ce moment poussée à l’extrême, par ces propos hors de portée par rapport à son référentiel, il eut mille fois envie de lui cracher au visage et mille fois il se ravisait.


En ces temps reculés, préparer du thé pour son maitre après un litige ou une discorde, signifiait l'obtention du pardon de celui-ci et un pacte de réconciliation entre les deux belligérants. On aurait dit la notion du calumet de la paix chez les indiens. Mais Mehdi n'en savait rien ou ne voulait rien savoir.

- Je ne boirai plus de votre thé, ni mangerait de votre pain. Dieu m’en préserve. Avant la tombée de la nuit je serai très loin de ces lieux. Je m’en remets à Dieu pour panser mes blessures et pour punir les responsables.

Si Ahmed esquissa un mouvement brusque, mais Mehdi avait déjà tourné les talons et sortait précipitamment de la maison.
- Laissez le partir, somma Si Ali à ses sbires.

Une fois dans son réduit, il commença à ramasser ses menus affaires quand l’ouvrier de Lalla Fatna vint le rejoindre. Dés qu’il l’eut vu, Mehdi s’empara du paquet reçu ce matin même, encore emballé et le lui remit derechef.
- Tu peux leur rendre cela, je n’en ai pas besoin.
- C’est pour te dire justement que c’est lalla Fatna qui te l’a donné et non Si Ali et qu’elle ne voudrait pas que cela se sache.

Il prit le paquet le mit dans une couverture en laine qu’il avait achetée au village, plia le tout et le fixa avec un morceau de fil, tata sa poche pour s’assurer que son mouchoir où il gardait ses économies y était bien calé, empoigna son bâton de berger, y accrocha son balluchon et quitta son gite avec empressement.
En passant devant l’enclos, il remarqua que les caprins étaient au complet dans l’enclos. Arrivé dans l’allée terminale, il se retourna et vit au loin les hommes et les femmes avec lesquels il avait partagé ses dernières années de son séjour, debout le regardant partir sans que personne n’osât lever la main. Sans doute étaient-ils tenus à l’œil par Si Ahmed, qu’ils redoutaient si fort que cela les tétanisaient. Une créature qui pendant longtemps habitera les songes de Mehdi.

dimanche 18 novembre 2007

Mehdi "Lbantouri" (26) - Le thé de la paix (1)

Lalla Fatna lui tint la main et accompagna l’enfant, encore sous le choc, jusqu’à son réduit.
Mehdi s’affala sur son paillasson, tout son corps lui faisait mal, si mal qu’il ne retrouvait pas le sommeil. Couché sur son dos, un œil au beurre noir, il ressassait les évènements marquants qu’il avait vécus dans cette contrée. Il ne se rappelait pas avoir eu une seule réprimande, une seule remarque déplacée durant son séjour jusqu’à ce volte-face que la vie lui a subitement réservé.
A demi éveillé, il sentait ses membres s’enfler démesurément avant de rapetisser à nouveau, sa tête grossir jusqu’à en devenir légère. Son corps se rebellait de son âme se disait-il et s’apprêtait à s’en détacher. Est-ce le début d’une crise de folie ? Il se releva et s’adossa au mur, sa tête était brulante de fièvre. Les sévices qu’il venait de subir ont eu raison de lui. Abandonné dans son réduit, fiévreux jusqu’au délire, seul devant sa destinée, il ne savait à quel sain se vouer, atone, nauséeux, il s’allongeait, se redressait, ne trouvait nulle position qui reposât son corps.
Des idées noires lui traversaient l’esprit, serait-ce ainsi que l’être trépasse ? Serait-ce son tour de passer l’arme à gauche? Il se rappelait seulement avoir tiré la couverture sur lui avant de tourner de l’œil.
Il tomba ainsi dans les pommes, resta quelques temps évanoui, se débattait sans le savoir entre la vie et la mort, puis revint à lui, recommença à bouger avant de sombrer, incontinent, dans un sommeil profond.
Au petit matin au bêlement du troupeau dans l’enclos, il se réveilla en sursaut, tout en sueur, croyant pendant un cours instant qu’il était en retard à son poste, avant de recouvrer totalement ses esprits.
La fièvre était tombée, sa tête sans acouphène et ses membres moins roidis lui donnaient l’impression de revivre. Malgré le gonflement qui lui occupait maintenant la moitié du visage, il était heureux d’être encore de ce monde, instinct de conservation oblige.
A cet instant, l’ouvrier qui accompagnait la veille Lalla Fatna, poussa la porte, vint réveiller Mehdi, pour lui remettre un paquet contenant de nouveaux habits et lui dire d’aller voir Si Ali dans l’immédiat.
Mehdi se leva nonchalamment, mit de côté le paquet et enfila ses anciens habits sous l’œil étonné du messager à qui il emboîta le pas sans mot dire.

Une fois dans la petite cours chez le maitre, le visage à demi enflé, il se rappela le premier jour où il était arrivé et où il découvrait cette bâtisse dont il scrutait à nouveau tous les recoins, pourtant familiers, comme s’ils étaient devenus à nouveau étrangers pour lui. Il bouillonnait de l’intérieur et se disait que malgré ce qu’il venait de subir, il ne pouvait s’en plaindre qu’à Dieu. Il s’imaginait d’abord que Si Ali était un notable du village et aurait de toute manière gain de cause auprès de l’occupant -qui en ce moment se souciait peu des affaires entre indigènes- et ensuite en déposant sa plainte il sera contraint de donner son identité ce qui le ramènerait de facto vers son point de départ, son père.