mercredi 14 mai 2008

Mehdi "Lbantouri" (32) - Le mirage des chariots-

Le chemin vers Chichaoua semblait interminable pour Mehdi. La plaine qu’ils étaient entrain de traverser s’étendait à perte de vue et à plusieurs reprises Mehdi se retournait comme pour estimer le trajet parcouru. Mais Mehdi ne retrouvait plus derrière lui ni les petits vallons qu’il a vu aux alentours de Tlet El Hanchane, ni le point blanc qui lui servait de repère. Un point blanc qui était en fait le tombeau où reposait le sain My Abdellah à Tlet el Hanchane Il se rappelait encore ce promontoire avec son tombeau de blanc teinté, entouré de quelques masures délabrées dont le pisé partait en plaques mettant à nu les quelques pierres en forme de briques qui retenaient encore le chainage des portes et des fenêtres. Quelques montures attelées aux alentours, reniflant les joncs à la recherche de racines comestibles.
Le paysage et la couleur de la terre changeaient à l’approche de Chchaoua. De la blancheur du Mogador, on virait vers l’ocre du plat pays, le climat semi aride s’imposait peu à peu aux 3 muletiers.
Soudain, alors que le crépuscule jetait son fichu noirâtre sur le monde, trois attelages en forme de roulottes paraissaient au loin. Mehdi s’écria le premier :
- des passagers en chariot !
Les deux muletiers éclatèrent presque simultanément de rire.
- Eh Bien si c’est des chariots c’est là où tu vas dormir !
Mehdi n’y comprenait rien, l’air interrogateur, donnait l’impression d’attendre la suite, subjugué par le rire de ses compères qu’il jugeait inopportun. Il insista tout de go pour savoir le fin mot de l’histoire.

Il s’agissait en fait de trois plateaux montagneux, qui vus de très loin, quand la clarté du jour fait défaut, donnaient l’impression d’être des chariots en queue leu-leu.
Plusieurs voyageurs avant Mehdi, ont eu les mêmes visions chimériques presque au même endroit.
Les voyageurs étaient habitués de bivouaquer aux pieds de ces surélévations naturelles qui leur offraient le refuge idéal pour la nuit avant de traverser le canyon pour déboucher de l’autre côté sur Chichaoua…

mardi 15 janvier 2008

Mehdi "Lbantouri" (31) - Sur le chemin de Chichaoua

Les deux muletiers, lahcen, vingt ans et Aamr trente ans unis par le destin avec Mehdi, quittèrent Sidi Mokhtar ensemble en direction de Chichaoua, après s’être ravitaillés en eau et en provisions.
Chemin faisant, alors qu’ils synchronisaient le trot de leurs montures et presque sans aucune gêne Lahcen s’adressa à Mehdi.
- Es tu marié ?
- Quoi ? Moi, Marié, non pas encore.
- Et toi rétorqua Mehdi
- Moi, oui, il y a déjà une année.
- Et lui dit Mehdi en désignant Aamr de la main
- Oh ! Oui, lui il a même deux enfants.
- Un garçon de quatre ans et une fillette encore dans les langes spécifia Aamr qui ne perdait rien de la discussion.
Mehdi devient derechef inquisiteur et s’enhardit en disant.
- Vous habitez où ?
- Dans les abords de Ounara répondit Lahcen
- C’est là où vous avez de la famille ?
- Oui ! Rétorqua Aamr en jetant un coup d’œil de travers, comme pour signifier à Mehdi qu’il posait trop de questions.
Ce regard n’échappa guère à Mehdi qui cessa incontinent son interrogatoire improvisé dans la manière mais avec un but précis dans le fond.
Il en savait désormais assez pour se tranquilliser sur les comportements potentiels de ses compagnons de fortune.
Ainsi, une fois mis en confiance, Mehdi leur raconta son histoire depuis sa première fugue de Casa, jusqu’à sa récente mésaventure avec Si Ali qui lui a valu sa difformité de l’instant.
- Eh ! Bien, la vie ne t’a pas fait de cadeaux mon fils, dit Aamr avec un air compatissant.
- Tu comptes faire quoi maintenant ? Enchaine –t-il.
- Je vais m’arrêter à Marrakech pour deux ou trois jours, juste le temps de prendre des nouvelles de quelques parents éloignés et je continue vers Amezmiz pour y chercher du travail.
- Tu auras plus de chance de trouver du travail à Marrakech qu’ailleurs avança Lahcen
- Oui, mais je n’aime pas beaucoup la ville.
En fait Mehdi ne pouvait pas leur avouer sa peur encore vive de se retrouver en face de son père.
Au fil de la conversation, Mehdi découvrit que ses deux compagnons étaient habitués à ce chemin muletier qu’ils empruntaient une fois par an après les récoltes pour aller travailler comme colporteurs à Marrakech jusqu’au temps des labours.

Un long silence suivit cette palabre, ponctué seulement de temps à autre du bruit des sabots des ongulés sur le sol tantôt rocailleux, tantôt poussiéreux et chacun de son côté cogitait à son lendemain en étrillant sa bête, autant de fois qu’il est nécessaire pour rester à hauteur du groupe quand les sentiers le permettaient, sinon au moins en queue-leu-leu.

Mehdi comme ses compères donna libre cours à ses réflexions et revint instinctivement sur la première question de Lahcen concernant le mariage. Personne ne lui avait encore fait cette remarque. Serait-il en âge de se marier ? A part les flirts innocents qu’il avait eus de temps à autre dans le Douar de Si Ali, il n’avait vraiment pas la tête à cela. Dans ses priorités il voulait d’abord s’implanter quelques parts avant de songer à dénicher l’oiseau rare, son hypothétique douce moitié.

samedi 5 janvier 2008

Mehdi "Lbantouri" (30) - La rencontre salvatrice

Le reste du chemin se déroula sans encombre et Mehdi las et éreinté arriva enfin à Sidi Mokhtar. La nuit était déjà bien avancée quand il s’arrêta devant un fondouk que Mohamed lui avait indiqué comme étant le seul endroit qui reste ouvert toute la nuit et permettait d’héberger aussi bien les montures que leurs maitres. L’animal est dessellé, parqué au rez-de-chaussée et son maitre prié de prendre des escaliers qui menaient au premier étage où deux grandes salles, l’une en face de l’autre, servaient de dortoirs. L’un pour les femmes et les enfants et l’autre pour les hommes. Mehdi déposa son léger barda dans un coin éclairé par une lampe à carbure sur une natte, recouverte d’une couverture en laine (hanbal). Plusieurs personnes roupillaient déjà à poings fermés. Mehdi allongé, les yeux à moitié clos de fatigue, les jambes engourdies par ce long trajet, passera sans transition de l’état d’éveil à celui des songes. Toutes ses craintes d’être attaqué durant son trajet et les moments de grande peur qu’il a traversés occupaient ses rêves. Il se débattait dans son sommeil avec des hommes qui portaient tantôt la tunique de gendarmes, tantôt les accoutrements des coupes jarrets de l’époque, mais ce léger cauchemar gardait en fait son sommeil et lui permettait de reprendre des forces. Sa joue enflée commençait déjà à reprendre sa forme initiale, seule l’ecchymose sur l’arcade sourcilière gauche semblait garder son noir caractéristique.
Le silence de la nuit avait couvert tous ces dormeurs que, ni les ronflements par saccades irrégulières, ni les odeurs de la sueur humaine mélangée à la pestilence de la paille imbibée d’urine des mulets qui émane du rez-de-chaussée, ne semblent affectés outre mesure. Etant pour la plupart des muletiers ou des marcheurs, souvent éprouvés par la rigueur des voyages mais peu exigeants, faute de moyens, en matière de literie, n’avaient d’autres choix que de se suffire de ce qu’ils trouvaient à leur portée.
Le crépuscule ramenait doucement la vie à tout ce beau monde et les uns après les autres dévalaient les escaliers, allaient tirer leurs montures avant de quitter leur gite prêts à poursuivre leur voyage. Mehdi faisait le nombre, quitta à son tour le fondouk avec son mulet pour s’arrêter une centaine de mètre plus loin dans un café maure. Il mit une entrave à sa bête et commanda un thé qu’il se fit servir sur une petite table autour de laquelle il retrouva quelques muletiers qui étaient logés au même endroit que lui. En ces temps là les clients, même s’ils ne se connaissaient pas entre eux, se mettaient autour de la même table (petite table ronde et tripode) et s’asseyaient en position tailleur sur des brins de paille tressés en nattes. Cela optimisait l’espace pour le cafetier et favorisait le dialogue pour les clients. Mehdi fit connaissance de deux muletiers qui se dirigeaient également vers Marrakech et leur proposa de faire le chemin ensemble. La solitude commençait à lui peser et trouvait cette rencontre opportune et salvatrice pour entamer le reste du trajet avec un soupçon de sécurité. Ses compagnons de fortune de grandes carrures, plus âgés et plus forts que lui le débarrassaient de l’inquiétude qui l’habitait depuis son départ….