samedi 28 décembre 2013

Mehdi L'bantouri : 40ème Episode 

La rencontre avec Laa Khaddouj (Tante)


Au petit matin, Mehdi pris congé de ses amis de fortune  et se dirigea tout de go vers les ruelles qui donnent sur la place Jamaa Lafna. Il se rappelait clairement le nom de la rue où le mari de sa tante (Si Ahmed) tenait un petit commerce de vente d’étoffes et de tissus. Il retrouva facilement la rue Essamarine qu’il recherchait, mais comme la plus part des boutiques étaient encore fermées à cette heure ci, ajouté à cela que tous les murs étaient repeints en ocre rouge et les portes au laqué marron foncé, il ne put reconnaître celle de Si Ahmed. Il décida alors de se renseigner chez le marchand de la première boutique ouverte.
Si Ahmed était très connu à Essamarine et Mehdi fut vite informé de la position de la boutique à une demi encablure de là.
 La boutique identifiée est néanmoins encore close en ce début de matinée et Mehdi n’eut d’autres choix que de s’asseoir sur le seuil pour attendre le mari de sa tante.
Après une heure d’attente, en vain, il résolut de faire les ruelles voisines, histoire de se dégourdir les jambes et essayer de se remémorer le contexte où il a longtemps gambadé alors âgé à peine de six ans.
Il entama alors une petite balade dans les dédales des ruelles maillées de Jamaa Lafna et tout en se projetant dans le passé, il reconnut par moment, des endroits qu’il parcourait pour faire des courses,  dans le temps, pour le mari de sa tante.
 Les raies de lumière, traversant les roseaux placés pour ombrager les ruelles, traçaient des bandes blanches sur le sol qui sont piétinées sans merci par les passants allant dans tous les sens telle une fourmilière. Elles ne trouvent de répits que quand le soleil quitte le zénith pour flancher d’un côté ou de l’autre, extirpant ses bandes éphémères du supplice des marcheurs     

Mehdi se délecta un moment de ce milieu doucereux qui lui rappelait la quiétude de son enfance au temps où il vivait avec Si Ahmed. Ce milieu où les portes cochères, les ruelles parfois en culs de sac, forment avec la diversité des corporations d’artisans de tout genre, teinturiers, ferblantiers ou encore cordonniers un creuset d’où émanent une combinaison d’odeurs et d’arômes spécifiques à ce lieu magique.
Les bruits et sons n’étaient pas en reste et aux impacts rythmés des marteaux sur les enclumes viennent s’ajouter  aux cris des charretiers porteurs d’eau tantôt annonçant leur passage, tantôt proposant leur service, les bruits occasionnés  par les bidons en tôle galvanisée chargés sur leurs engins. Les roues étant quasi ovales, confectionnées en bois recouvert de morceaux de pneus découpés en lanière retenus par du fil de fer recuit accentuaient les entrechocs des contenants qui devenaient plus bruants au fur et à mesure qu’ils se vidaient.
Mehdi ferma les yeux un moment en disant qu’en l’espace d’une décade, rien n’a vraiment changé en ces lieux, l’évolution était très lente à son goût. Il rebroussa chemin pour retrouver ensuite la boutique du mari de sa tante, restée toujours close.
Il se rappela alors que la maison de sa tante n’était pas très loin de la boutique de son mari et qu’avec un peu de chance, il la retrouverait facilement. Il fallait juste s’assurer que sa tante habitait toujours au même endroit. Quand ce fut fait auprès du boutiquier voisin de si Ahmed, il sortit des ruelles, déboucha sur la place, la traversa, longea le mur d’en face et en se laissant guider par son instinct, tourna à gauche sous un portique en pisé, marcha quelques centaines de mètres puis s’arrêta net devant une porte peinte en vert wagon décorée de grosses pointes en forme de punaises jaunes bombées. Un heurtoir ayant l’aspect d’un anneau épais en cuivre ornait le vantail droit de la porte.

Vêtu d’une djellaba blanche, un burnous et un turban qu’il mit ce matin là, haut de ses dix sept printemps, un  semblant de moustaches accrochées au nez, Mehdi se voyait déjà adulte, sa carrure aidant, il ferait facilement deux ou trois années de plus.

Il passa ses doigts dans ses cheveux ébouriffés qui débordaient de son turban, mais rien n’y fait, plusieurs épis se redressaient derechef.
Enfin, il se hasarda à soulever le heurtoir de la porte, qu’il retint pendant un moment dans cette position, on aurait dit que sa main s’est subitement engourdie. Il rêvassa ainsi, indécis qu’il était, en se reposant encore la grande question qui le rongeait depuis tout petit. Si je me retrouvais nez à nez avec mon père ? Allait-il me reconnaître ? Me pardonnerait-il ma longue fugue ? Non se tranquillisait-il, je ne renoncerais pas, je n’ai pas fait tout ce chemin pour rien et puis je n’ai rien à perdre, je dois remplir mon devoir de bon musulman jusqu’au bout.
Il laissa finalement retomber le heurtoir sur le vantail, le ressaisit à nouveau et  refit de même plusieurs fois.
Il sentit ensuite, quelques instants plus tard, que quelqu’un de l’intérieur s’était rapproché de la porte et se mit à claquer les mains on aurait dit un léger applaudissement.
Pendant une fraction de seconde, Mehdi était perplexe, avant que son esprit ne fasse un bond en arrière pour se rappeler que les femmes dans cette contrée ne parlaient pas aux étrangers et ne faisaient que claquer des mains quand leur homme n’était pas là pour ouvrir. Le visiteur dans ce cas doit annoncer son nom. Si celui-ci est connu de la famille, la femme engage la discussion, sinon la femme continue de claquer des mains et le visiteur laisse un message oral au maître de la maison et s’en va.
Sur ce, il dit :
-          Je suis Mehdi Ben Brahim, Ben Kacem, je viens voir ma tante Laa Khaddouj  et son mari Si Ahmed
Puis un son de pas qui s’éloignent fut perçu par Mehdi. Désormais se disait-il, c’est le manège habituel, la femme qui claquait des mains va rapporter le message à sa maîtresse.
Enfin une voix de femme se fit entendre et lui dit :
-          Nous ne connaissons pas de Mehdi Ben Brahim, le seul qu’on connaît est mort quand il avait dix ans.
-          Non La Khaddouj, c’est bien moi Mehdi, ton neveu, je suis encore en vie et je suis revenu pour vous voir. Je n’ai pas trouvé ton mari à la boutique et j’ai décidé de voir à la maison.

Le ventail crissa en s’entrebâillant et fit apparaître l’œil d’une femme voilée qui dévisagea un moment le visiteur , interloquée par son accoutrement d'un amazigh, mais qui ne lui allait point à son goût. avant de s’écrier :
-          C’est bien Mehdi ! Il est vivant !
Sur ce, elle ouvrit grand la porte, attrapa la main de Mehdi et se mit à pleurer.
Mehdi ne put retenir ses larmes et s’effondra dans les bras de laa Khaddouj qui fut pour lui, depuis sa troisième bougie, sa seconde mère pour s’en être occupée depuis la mort de sa mère biologique.
Pour la première fois de sa vie, il eut des larmes de tendresse pour quelqu’un. Lui qui, de sa vie, le sort ne lui a jamais été magnanime  et n’a toujours eu que des larmes de douleur et de détresse.
Dans cet événement touchant et cette profusion de larmes, la femme qui faisait des bans derrière la porte se mit également à pleurer et à crier à son tour qu’elle était sa cousine (fille de si Ahmed)
Ils s’entrelacèrent à trois  et continuèrent à verser des larmes, tantôt de joie, en remerciant Dieu d’avoir épargné le petit Mehdi, tantôt d’amertume pour avoir perdu de vue, pendant longtemps, leur chérubin.