mardi 30 octobre 2007

Mehdi "Lbantouri" - (25) - Le Silo aux grains (Fin)

Mehdi venait à travers cette brève palabre de découvrir que les vents se sont de nouveau retournés contre lui et commençait à appréhender difficilement son avenir proche.

L’attente languissante du retour du maalem et avec lui le verdict de ce jugement unilatéral, était insupportable pour Mehdi au point qu’il souhaita une sentence dans l’immédiat, plutôt que cette lenteur assommante. Il se disait que toutes ses économies allaient y passer pour payer les dommages causés par ces diablesses de chèvres.

Soudain, Si Ali poussa violemment la porte et se rua sur Mehdi, qu’il arracha de son lit et se mit à le secouer de toutes ses forces en houspillant : « Je ne sais pas ce que je vais faire de toi !!». Il prit Mehdi par le cou et le poussa dans les mains de Si Ahmed avant de vociférer :

- tu vas me mettre cet âne tout nu dans la Matmora (le silo) !
- Quoi dans la matmora ?
- Tu as bien entendu dans le silo avec le grain et tout de suite !!
Au passage il donna une bourrade au gosse et ressortit comme un ouragan de la pièce, furibond qu’il était.

Ainsi tomba le verdict, tel un couperet et Mehdi qui croyait qu’avec ses petites économies il pouvait s’en sortir, n’en revenait pas. Il eut peur, au point qu’il en devint capon et se mit alors à supplier Si Ahmed de garder ses habits en raison du froid qu’il faisait. Mais celui-ci ne l’écouta point et se mit à exécuter la sentence en arrachant les habits de l’adolescent sans vergogne seul le dessous qui recouvrait ses parties charnues fut épargné.

Mehdi fut trainé jusqu’à la matmora, une excavation dans le sol sur deux mètres de profondeur et trente mètres carrés de surface dotée d’un trou d’homme en guise d’accès. Il fût descendu au fond, accompagné par son ange gardien. Quand il toucha le fond, il sentit sous ses pieds nus la friction des grains de blé emmagasinés dans le silo.
Alors que ses yeux commençaient à peine à s’habituer à la pénombre du silo, il reçut en pleine tronche un coup terrible qui le fit tomber à la renverse. Il eut juste le temps de se recroqueviller pour supporter les coups qui ont commencé à pleuvoir. Il su alors que ce traitement spécial était compris dans la sentence et que Si Ahmed se transforma, dans le noir qui cachait son forfait, en bourreau inhumain contre un pauvre garçon, misérable et ilote. Le pauvre Mehdi, qui croyait qu’une simple contrition ou un repentir déclaré pouvait le sauver de cette impasse, se fourrait le doigt dans l’œil et gisait maintenant sur une couche de blé tout nu et plein d’ecchymoses.

Quand il fut finalement abandonné à son sort, Mehdi pleurait en silence et à chaude larme. Les humeurs de la race humaine et caprine se superposaient dans son esprit, voire se confondaient à plus d’un titre. Seule différence qu’il observait c’est que ses chèvres gambadaient pour se nourrir alors que ses congénères à lui se nourrissaient pour s’agiter dans tous les sens sans aucune harmonie provoquant le désordre chez les êtres de leur espèce.

Petit à petit, il reprenait ses esprits et commençait à réaliser combien la vie était dure pour lui. Combien de défaites devra-t-il encore essuyer avant d’avoir le dessus. Aura-t-il encore le courage de combattre après ce coup bas du destin. La mort ne serait pas plus clémente pour lui ? Pourquoi ces gens ont voulu sa perte alors qu’en battant le blé, en l’égrenant, en le stockant, ils visaient la vie.
Que de questions que son entendement ne pouvait appréhender fusaient dans son esprit. Se lamentant, des heures durant, tantôt de son corps avachi, tantôt de son âme bafouée, Mehdi se torturait à vouloir expliquer ce qui lui arrivait et toute la hardiesse qu’il croyait avoir acquise, s’effilochait en ces instants de grande peine.
Dans son heure de misère extrême, il n’avait pas remarqué que le calme de la nuit avait couvert les cieux et que les quelques bribes de lumière du jour qui filtraient à travers les fentes de la trappe avaient cédé la place aux ténèbres.
La chaleur que le silo avait emmagasinée de jour commençait à dépérir, l’air suffoquant du jour se remplaçait par des filets d’air froids et glaciaux. Le silence tombal ajoutait une touche tragique à l’événement. Résigné finalement à son sort, avoué vaincu, le puni, par instinct de conservation, se recouvrit le corps de graminées qui retenaient encore la chaleur en profondeur.

La fatigue, aux effets psychique et somatique conjuguées, vint au bout de l’adolescent qui dans une posture d’inhumé, bien au chaud, à l’exception de la tête qui émergeait de cet amas céréalier que la providence a mis sur son chemin, peut être pour le préserver du froid et de sa nudité qu’il ne supportait pas lui-même, ferma les yeux et plongea immédiatement dans un sommeil profond.
Alors que la nuit avançait, un bruit de pas qui se rapprochaient, fit sursauter Mehdi qui à demi éveillé hésitait encore à donner raison à ses sens. Le rêve et la réalité étaient enchevêtrés dans son subconscient et affectaient sensiblement son discernement.
Néanmoins, il souleva sa couverture naturelle, se releva sur son séant et guetta le moindre son en direction des hommes d’en haut, des vivants. Lui le survivant d’en bas, le mort prochain qui se sentait désormais dans la demeure des ombres n’attendait plus de ceux d’en haut que le coup fatal qui l’enverrait dans l’au delà vers ses infortunés semblables.
Le son à peine audible au début d’intensifia et avec lui l’angoisse de Mehdi qui se soustrayant rapidement de son terrassement, alla se plaquer contre la paroi profonde du silo, au coin le moins exposé. Dans sa hâte et sa misère, il s’agitait sans s’en rendre compte en projetant, tel un chien mouillé, en guise de gouttelettes d’eau, des grains de blé encore collés à sa peau.

Finalement le tampon du trou d’homme pivota et la lumière d’une lampe à pétrole fraya les ténèbres.

- Mehdi, Mehdi où es tu ? Montres toi ! lança une voix d’homme.

Mehdi figé dans son coin ne répondit point et se contenta d’attendre. Sera-t-il tabassé encore une fois, serait-ce son méchant geôlier qui vient remettre une couche. Dans le doute, il se tut.

- Mon Dieu, il est peut être mort. Lança une voix de femme.
- Mehdi, se mit –elle à crier, c’est moi Fatna, tu n’as rien à craindre, je t’ai apporté tes habits, montres toi !
Un paquet, presque instantanément, tomba sur une butte de grain et se roula de côté.
Mehdi n’en croyait pas ses oreilles, la femme du Maalem qui s’est elle-même déplacée pour lui ? Il se savait apprécié par la gente féminine du Douar mais pas à ce point.

- Lalla fatna, se hasarda Mehdi, Dieu te garde, je veux que ce lieu soit ma tombe, je ne veux plus remonter, envoyez de la terre, du grain ou tout ce qui peut ensevelir, je n’ai rein à faire chez les vivants ingrats, la vie est trop injuste pour moi.

- Mon Dieu, je l’ai dit à Si Ali, le châtiment est trop démesuré. Cours vite chercher une échelle, il faut descendre le remonter tout de suite ! s’adressa Fatna à l’homme qui l’accompagnait.

En entendant ces propos, Mehdi commença à enfiler ses frusques ou ce qui l’en restait. Il savait pertinemment que Lalla fatna ne le laisserait pas partir en paix vers sa destination escomptée.

Après quelques tractations Mehdi fût contraint de quitter sa retraite involontaire.

Quand il fut debout devant Lalla Fatna,la face éclairée, elle ne put s’empêcher de s’écrier de stupeur et de désarroi, on aurait dit qu’elle aurait vu le diable. Les cheveux ébouriffés, un œil au beurre noir, une arcade sourcilière fendue sans parler des bleus et des écorchures sur les bras de l’adolescent, on aurait dit un revenant.
Elle pensa tout haut que Si Ahmed n’y est pas allé de main morte. Elle tira l’enfant vers elle et lui caressa les cheveux en signe de réconfort.
Mehdi ne comprenait rien aux lubies du sort, le geste aimable de cette bonne dame à l’opposé de la rudesse de son mari, lui fit verser des larmes brulantes et rebelles qui ruisselaient sur des pommettes difformes et éraflées.

6 commentaires:

Majid Blal a dit…

"Crimes et chatiments" Dostoevski.
mais quels chatiments pour quel crime? Le jeune Mehdi n'avait que l'infamente patience pour supporter l,ignoble injustice. De plus en plus et au fil de tes ecrits, l'estime pour cet homme gravit les sommets dans nos consciences.
En ce qui concerne L'écriture proprement dit, je constate que tu es déchainé. Tout y est et surtout' de plus en plus, la maitrise des dialogues, ce qui n,est pas une mince tache.
Bravo. Continue à nous raconter L,histoire d,une vie.
Majid

S.Abdelmoumène a dit…

Merci majid,

Je ne sais si j'ai reproduit fidélement le ressenti de Feu Mehdi pour cette partie de sa vie. Je me rappelle seulement que quand il nous en parlait il avait, 4 fois sur cinq, les larmes aux yeux. Cela était évident qu'il en souffrait beaucoup, surtout qu'en ces temps là, les châtiments corporels des enfants, passaient pour être chose anodine.

Si les dialogues se portent mieux c'est bien grâce à toi, Majid (je ne l'oublie pas.

PS: Je te renvoie aux commentaires de l'épisode précédent, je crois que tu n'as pas lu ma réponse pour l'Outar.

Merci de ton soutien inconditionnel.

Dr Mouhib Mohamed a dit…

Bonjour Salah;c'est le comble des sevices à enfants.Cet episode touchant de la vie dure de Mehdi que tu as relaté d'une maniére captivante démontre l' abjecte servitude humaine .Comment une personne aussi importante dans le village pouvait descendre à cet avilissement à cet abaissement extreme de la moralité.Esperons que des dépravations paréilles n'éxistent plus chez nous .Salut

S.Abdelmoumène a dit…

Merci Si Med,

Cet épisode m'a touché moi même. en le retraçant, j'avais un pincement au coeur en faisant quasiment la même remarque quant à la dureté des adultes vis à vis des enfants en ces temps là. Je crois au risque de me tromper que battre un enfant était tout à fait banal. "Khalih Irabih" voici en pareils cas le refrain dans ces temps reculés....

Merci Si Med de ton passage précieux à mes yeux.

Pas a pas a dit…

Bonjour S.Abdelmoumene
C’est dur d’écrire sur son père ! Trop dur parfois, et je l’ai compris pour toi aussi en lisant tes commentaires
Que la vie fut difficile pour cette génération, les privations, les raclées et les bosses la recherche du pain quotidien, faisaient, parti de leur quotidien
Certain même connurent deux guerres , et plus
Comment alors sont ils devenus des sages ? Sans doute pensaient il qu’il n’y a pas pire châtiment que de pas être aimé par ses parents
Merci de ce merveilleux passage
Amitiés
Patrick

S.Abdelmoumène a dit…

Bonjour Patrick,

Comme je disais à Majid, ce fut une période de sa vie qui est restée gravée dans sa mémoire et dans la notre. Lui pour l'avoir subie sans comprendre, et nous (ses enfants) pour l'avoir entendue de sa bouche avec une narration à chaque fois accompagnée d'une larme de souffrance.

Bon retour, tu commençais à manquer au groupe!