samedi 15 décembre 2007

Mehdi "Lbantouri" - (29) - Le périple

Le soleil était au zénith quand Mehdi, tantôt à dos de mulet, tantôt à pieds tirant sa monture, arriva à Tlet Hanchane.

Le revoilà à nouveau sur un terrain disgracieux, nu et inhospitalier, où la misère de l’homme n’a rien à envier à celle de la nature. Une nature qui ne cache même plus sa déconvenue derrière un semblant de voile floristique. Il contemplait à nouveau cet endroit immense et vaste mais malchanceux, pauvre et abandonné comme lui. Les éléments de la nature et la férule de son père se confondaient pour lui en cet instant d’évasion où, son esprit se bruinait et sa vue se troublait rien qu’à l’idée de partir à la conquête d’hypothétiques espaces de paix et de sérénité.

Dans ses réflexions, il ne s’était pas rendu compte qu’il avait réduit le pas à tel point que sa mule se permettait de baisser la tête pour humer le sol à la recherche d’une herbe à brouter. Mais la pauvre bête ne trouvait pas l’ombre d’une brindille à se mettre sous le mors et n’y gagnait en retour qu’une nuée de poussière soulevée par son souffle, qui au contact de sa bave, formait un enduit qui lui collait au museau on aurait dit un clown. L’ongulé devait se demander lui-même ce qu’il lui arrivait, quel destin l’attendait avec son nouveau maître.
Mehdi revint finalement à lui et tira sur les rennes pour requinquer la bête. Mais celle-ci, réputée pourtant trotteuse, semblait hésiter à garder la cadence, alors qu’elle n’avait comme charge que le menu barda du jeune muletier. Il déduisit enfin que cet animal doit, tout comme lui, prendre pour la première fois cette direction, habitué toujours à faire les souks de Ounara, Essaouira dans le sens opposé, il avait peur de l’inconnu.
Voilà comment, le destin de deux individus pourtant d’espèces différentes se fusionnait dans le même creuset de la vie. Mehdi se reconnut à lui-même une certaine appréhension à voyager tout seul pour un long trajet. Il avait peur également de faire de mauvaises rencontres. Les brigands et les coupes jarrets pullulaient en ces temps là et sillonnaient les chemins muletiers et les parcours de montagne à la recherche de voyageurs esseulés à détrousser. Mais il se tranquillisait à l’idée qu’il n’avait rien de précieux avec lui à l’exception de sa bête de charge et les deux sous qu’il lui restait de son pécule. Avec l’esprit un tantinet débridé, il allait jusqu’à se dire que dans son accoutrement et sa rengaine, les éventuels bandits le prendraient sûrement pour l’un des leurs et lui donneraient plutôt un coup de main en signe de confrérie implicite des laissés pour compte.

Soudain, il s’arrêta net, enfourcha sa monture et éperonna on aurait dit qu’il avait le diable aux trousses. La pauvre bête n’y comprenait rien ; qu’est ce que c’est que cet humain plein de lubies que le sort m’a réservé se disait-elle. Quand il ne marche pas à pied sans se soucier qu’il avait un mulet, il le monte et tout de go part à bride abattue. Mais en fait, Mehdi alors qu’il rêvassait, se rappela que quand le bandit est là, le gendarme n’est pas loin et comme ce dernier genre l’horripilait peu ou prou, il jugea, précautionneux qu’il était, qu’il fallait accélérer l’allure pour atteindre Sidi Mokhtar avant la nuit. Il n’aimait pas beaucoup l’occupant et le genre gendarme en particulier. On lui avait raconté que les gendarmes battaient toutes les régions à la recherche de foyers potentiels de résistance et qu’il leur arrivait d’enrôler bon gré, mal gré les jeunes indigènes dans la force de l’âge pour les envoyer servir de chaire à canon à la cause de l’hexagone. Ces idées qui venaient de traverser son esprit se structuraient peu à peu et se mettaient déjà en scène. Si les gendarmes venaient à m’arrêter, ils me parleraient dans une langue que j’ignore, me demanderaient des pièces d’identité que je n’ai point, alors ils me soupçonneraient de tous les maux de la terre sans que je ne puisse me défendre. Les uns diront que je suis l’éclaireur de quelques patriotes en train de leur tendre une embuscade, d’autres répliqueront qu’avec une tête à moitié enflée comme la mienne, il ne pourrait s’agir que d’un renégat de quelques brigands que la fatuité a aveuglé et s’est frotté à plus fort que lui. Comment pourrais-je leur expliquer mon histoire de la « Matmora », le seul gestuel ne suffirait pas et les gallicismes de leur langue me sont inconnus, alors que faire ?
A ce moment et sur un autre registre, il se rappela ce besoin pressant et cette lacune immense qui l’ont toujours rongé depuis sa fugue à l’âge de onze ans. Apprendre à lire et à écrire serait désormais sa première préoccupation. Il broyait du noir à l’idée que les garçons de son âge parlaient et écrivaient couramment alors que lui pataugeait encore dans les bas fonds de l’analphabétisme. Soudain il se rendit compte qu’il cravachait sans raison sa monture qui avait déjà une allure effrénée pour son genre. Sans le savoir, il libérait son ire du moment sur la pauvre bête, tellement il en avait après son destin d’avoir fait de lui un moins que rien, un ignare et un miséreux. Il s’arrêta sur le champ, mit pied à terre et tira sa monture calmement comme pour se faire pardonner de son comportement peu orthodoxe….

mercredi 28 novembre 2007

Mehdi "Lbantouri" -(28) - Cap sur Amezmiz

Mehdi se remit à marcher en prenant la direction du village, il avait déjà sa petite idée sur sa destination. Pour une fois, il découvrait que l’adage « à toute chose malheur est bon » avait un sens. Ce passage à tabac qu’il venait de subir lui a ouvert les yeux et prit la ferme décision de mettre fin à sa soumission, il comprit que la serviabilité et la gentillesse dont il a fait preuve durant son séjour dans ce douar n’ont eu aucun effet sur ses concitoyens qui n’ont pas levé le petit doigt pour le défendre quand il en avait besoin. Désormais il ne permettrait plus que cela se reproduise sans qu’il ne réagisse. Œil pour œil et dent pour dent serait dorénavant sa devise. Pour la première fois dans sa vie, il en voulait à tout le monde et particulièrement aux habitants de ce Douar. Poltrons et couards qu’ils étaient, ils n’ont pu se rebeller contre ce terrien, notable pour l’occupant, mais répugnant pour les siens qu’il exploitait et torturait sans vergogne. Eh Oui, qui détient l’argent, détient le pouvoir est une vérité bien établie et fort inculquée par l’occupant dans les esprits des indigènes soumis et infortunés de ces contrées.
Le démuni pour ces inopportuns n’avait pas le droit à la parole fut-il des plus érudits, c’était le préposé au crime, le rebelle potentiel, le geignard perpétuel et l’eternel insatisfait.
La tête de Mehdi s’échauffait en raison des ricochets de ces idées peu communes et avant-gardistes qui naissaient petit à petit dans sa boite crânienne, sans qu’il ne s’en aperçoive, à mesure qu’il avançait dans l’âge.
En tapotant sur le sol de ses sandales faites de sangles en cuir brute qui emmaillotent ses pieds pour coller à une semelle en caoutchouc issue de vieux pneus « Michelin », Dieu sait à quel taco ils ont appartenu, Mehdi soulevait de la poussière, preuve irréfutable qu’il est bel et bien de ce monde et qu’il comptait bien arracher à l’existence, l’aire vitale qui lui était due sans que personne ne s’y interposât.
Il se dirigea vers Si Mohamed, la seule personne après Lalla Fatna qui lui vouait une certaine inclination.
Arrivé devant sa masure, il eut droit à un furtif coup d’œil et un dressement d’oreille du chien de garde, cette fois-ci allongé derrière l’enceinte en pisé. Même le comportement de ce chien réputé pour être la méchanceté transcendée, paraissait à Mehdi saugrenu, serait-il lui aussi corrompu comme ces compères de la race humaine ? Aurait-il flairé en lui le rejeton abattu et avili ? Le descendant de la race canine quant lui se disait sûrement que les mollets de Mehdi n’en valaient plus la peine ou que ce pauvre diable, à la joue pendante, en a assez vu par ailleurs ou, difforme qu’il était, il appréhendait mal son appartenance et ne le classait point dans la race des bipèdes répertoriés à ce jour.

En tout cas son maitre était resté égal à lui-même, Si Mohamed, toujours bienveillant et contrairement aux autres était désolé pour Mehdi et était l’une des rares personnes à avoir compati. C’était aussi l’une des personnes à nourrir un certain dédain des parvenus notables à la solde de l’occupant. Mehdi comprenait enfin, par ces propos, l’excentricité de la demeure de Si Mohamed par rapport au reste du Douar. Sa vision tout à fait à l’opposé des suivistes souvent incrédules, capons ou ignares faisait de lui l’incompris du Douar, la personne dérangée et dérangeante, le clou qui dépasse. Il n’avait alors d’autres choix que de rester à l’écart, sa petite famille et lui-même vivait dans un cercle assez fermé. Le peu de visiteurs qu’il recevait expliquait son mode de vie, celui-ci même dans lequel son chien, avec son caractère irascible, s’y retrouvait.
Mehdi mit au courant son ami sur sa décision à mettre le cap sur Amezmiz, un village, limitrophe de Marrakech, dont on lui a souvent parlé en bien. Pour cela il voulait acheter une monture, un mulet de préférence. Il avait beaucoup de chemin à faire et était disposé à mettre toutes ses économies pour acquérir un équidé pour son transport. Si Mohamed approuva le choix de Mehdi et en signe de bonne amitié, lui proposa de lui vendre une mule qui trottine bien et à très bon prix. Quelques heures plus tard Mehdi était sur le chemin vers la patte d’oie de Tlet El Hanchane.

vendredi 23 novembre 2007

Mehdi "Lbantouri" -(27) - Le thé de la paix (2)

A cet instant, arriva Si Ali suivi de son gendre et contremaitre Si Ahmed.
- Alors comment tu as trouvé la « matmora » ? Tu sais maintenant ce qu’on risque quand on a failli à son devoir.
Il ne semblait guère affecté par le visage défiguré de l’enfant ni par ses habits qui partaient en lambeaux, on aurait dit qu’un troupeau de bison l’avait piétiné.
- Maintenant pour faire la paix, comme de coutume ici, tu vas préparer le thé pour moi, nous le boirons ensemble en signe de réconciliation et tout sera oublié, tu reprendras ainsi ton travail demain matin.

Mehdi n’en revenait pas. Ce fut la goutte qui déborda le vase. Tellement sa haine fut en ce moment poussée à l’extrême, par ces propos hors de portée par rapport à son référentiel, il eut mille fois envie de lui cracher au visage et mille fois il se ravisait.


En ces temps reculés, préparer du thé pour son maitre après un litige ou une discorde, signifiait l'obtention du pardon de celui-ci et un pacte de réconciliation entre les deux belligérants. On aurait dit la notion du calumet de la paix chez les indiens. Mais Mehdi n'en savait rien ou ne voulait rien savoir.

- Je ne boirai plus de votre thé, ni mangerait de votre pain. Dieu m’en préserve. Avant la tombée de la nuit je serai très loin de ces lieux. Je m’en remets à Dieu pour panser mes blessures et pour punir les responsables.

Si Ahmed esquissa un mouvement brusque, mais Mehdi avait déjà tourné les talons et sortait précipitamment de la maison.
- Laissez le partir, somma Si Ali à ses sbires.

Une fois dans son réduit, il commença à ramasser ses menus affaires quand l’ouvrier de Lalla Fatna vint le rejoindre. Dés qu’il l’eut vu, Mehdi s’empara du paquet reçu ce matin même, encore emballé et le lui remit derechef.
- Tu peux leur rendre cela, je n’en ai pas besoin.
- C’est pour te dire justement que c’est lalla Fatna qui te l’a donné et non Si Ali et qu’elle ne voudrait pas que cela se sache.

Il prit le paquet le mit dans une couverture en laine qu’il avait achetée au village, plia le tout et le fixa avec un morceau de fil, tata sa poche pour s’assurer que son mouchoir où il gardait ses économies y était bien calé, empoigna son bâton de berger, y accrocha son balluchon et quitta son gite avec empressement.
En passant devant l’enclos, il remarqua que les caprins étaient au complet dans l’enclos. Arrivé dans l’allée terminale, il se retourna et vit au loin les hommes et les femmes avec lesquels il avait partagé ses dernières années de son séjour, debout le regardant partir sans que personne n’osât lever la main. Sans doute étaient-ils tenus à l’œil par Si Ahmed, qu’ils redoutaient si fort que cela les tétanisaient. Une créature qui pendant longtemps habitera les songes de Mehdi.

dimanche 18 novembre 2007

Mehdi "Lbantouri" (26) - Le thé de la paix (1)

Lalla Fatna lui tint la main et accompagna l’enfant, encore sous le choc, jusqu’à son réduit.
Mehdi s’affala sur son paillasson, tout son corps lui faisait mal, si mal qu’il ne retrouvait pas le sommeil. Couché sur son dos, un œil au beurre noir, il ressassait les évènements marquants qu’il avait vécus dans cette contrée. Il ne se rappelait pas avoir eu une seule réprimande, une seule remarque déplacée durant son séjour jusqu’à ce volte-face que la vie lui a subitement réservé.
A demi éveillé, il sentait ses membres s’enfler démesurément avant de rapetisser à nouveau, sa tête grossir jusqu’à en devenir légère. Son corps se rebellait de son âme se disait-il et s’apprêtait à s’en détacher. Est-ce le début d’une crise de folie ? Il se releva et s’adossa au mur, sa tête était brulante de fièvre. Les sévices qu’il venait de subir ont eu raison de lui. Abandonné dans son réduit, fiévreux jusqu’au délire, seul devant sa destinée, il ne savait à quel sain se vouer, atone, nauséeux, il s’allongeait, se redressait, ne trouvait nulle position qui reposât son corps.
Des idées noires lui traversaient l’esprit, serait-ce ainsi que l’être trépasse ? Serait-ce son tour de passer l’arme à gauche? Il se rappelait seulement avoir tiré la couverture sur lui avant de tourner de l’œil.
Il tomba ainsi dans les pommes, resta quelques temps évanoui, se débattait sans le savoir entre la vie et la mort, puis revint à lui, recommença à bouger avant de sombrer, incontinent, dans un sommeil profond.
Au petit matin au bêlement du troupeau dans l’enclos, il se réveilla en sursaut, tout en sueur, croyant pendant un cours instant qu’il était en retard à son poste, avant de recouvrer totalement ses esprits.
La fièvre était tombée, sa tête sans acouphène et ses membres moins roidis lui donnaient l’impression de revivre. Malgré le gonflement qui lui occupait maintenant la moitié du visage, il était heureux d’être encore de ce monde, instinct de conservation oblige.
A cet instant, l’ouvrier qui accompagnait la veille Lalla Fatna, poussa la porte, vint réveiller Mehdi, pour lui remettre un paquet contenant de nouveaux habits et lui dire d’aller voir Si Ali dans l’immédiat.
Mehdi se leva nonchalamment, mit de côté le paquet et enfila ses anciens habits sous l’œil étonné du messager à qui il emboîta le pas sans mot dire.

Une fois dans la petite cours chez le maitre, le visage à demi enflé, il se rappela le premier jour où il était arrivé et où il découvrait cette bâtisse dont il scrutait à nouveau tous les recoins, pourtant familiers, comme s’ils étaient devenus à nouveau étrangers pour lui. Il bouillonnait de l’intérieur et se disait que malgré ce qu’il venait de subir, il ne pouvait s’en plaindre qu’à Dieu. Il s’imaginait d’abord que Si Ali était un notable du village et aurait de toute manière gain de cause auprès de l’occupant -qui en ce moment se souciait peu des affaires entre indigènes- et ensuite en déposant sa plainte il sera contraint de donner son identité ce qui le ramènerait de facto vers son point de départ, son père.

mardi 30 octobre 2007

Mehdi "Lbantouri" - (25) - Le Silo aux grains (Fin)

Mehdi venait à travers cette brève palabre de découvrir que les vents se sont de nouveau retournés contre lui et commençait à appréhender difficilement son avenir proche.

L’attente languissante du retour du maalem et avec lui le verdict de ce jugement unilatéral, était insupportable pour Mehdi au point qu’il souhaita une sentence dans l’immédiat, plutôt que cette lenteur assommante. Il se disait que toutes ses économies allaient y passer pour payer les dommages causés par ces diablesses de chèvres.

Soudain, Si Ali poussa violemment la porte et se rua sur Mehdi, qu’il arracha de son lit et se mit à le secouer de toutes ses forces en houspillant : « Je ne sais pas ce que je vais faire de toi !!». Il prit Mehdi par le cou et le poussa dans les mains de Si Ahmed avant de vociférer :

- tu vas me mettre cet âne tout nu dans la Matmora (le silo) !
- Quoi dans la matmora ?
- Tu as bien entendu dans le silo avec le grain et tout de suite !!
Au passage il donna une bourrade au gosse et ressortit comme un ouragan de la pièce, furibond qu’il était.

Ainsi tomba le verdict, tel un couperet et Mehdi qui croyait qu’avec ses petites économies il pouvait s’en sortir, n’en revenait pas. Il eut peur, au point qu’il en devint capon et se mit alors à supplier Si Ahmed de garder ses habits en raison du froid qu’il faisait. Mais celui-ci ne l’écouta point et se mit à exécuter la sentence en arrachant les habits de l’adolescent sans vergogne seul le dessous qui recouvrait ses parties charnues fut épargné.

Mehdi fut trainé jusqu’à la matmora, une excavation dans le sol sur deux mètres de profondeur et trente mètres carrés de surface dotée d’un trou d’homme en guise d’accès. Il fût descendu au fond, accompagné par son ange gardien. Quand il toucha le fond, il sentit sous ses pieds nus la friction des grains de blé emmagasinés dans le silo.
Alors que ses yeux commençaient à peine à s’habituer à la pénombre du silo, il reçut en pleine tronche un coup terrible qui le fit tomber à la renverse. Il eut juste le temps de se recroqueviller pour supporter les coups qui ont commencé à pleuvoir. Il su alors que ce traitement spécial était compris dans la sentence et que Si Ahmed se transforma, dans le noir qui cachait son forfait, en bourreau inhumain contre un pauvre garçon, misérable et ilote. Le pauvre Mehdi, qui croyait qu’une simple contrition ou un repentir déclaré pouvait le sauver de cette impasse, se fourrait le doigt dans l’œil et gisait maintenant sur une couche de blé tout nu et plein d’ecchymoses.

Quand il fut finalement abandonné à son sort, Mehdi pleurait en silence et à chaude larme. Les humeurs de la race humaine et caprine se superposaient dans son esprit, voire se confondaient à plus d’un titre. Seule différence qu’il observait c’est que ses chèvres gambadaient pour se nourrir alors que ses congénères à lui se nourrissaient pour s’agiter dans tous les sens sans aucune harmonie provoquant le désordre chez les êtres de leur espèce.

Petit à petit, il reprenait ses esprits et commençait à réaliser combien la vie était dure pour lui. Combien de défaites devra-t-il encore essuyer avant d’avoir le dessus. Aura-t-il encore le courage de combattre après ce coup bas du destin. La mort ne serait pas plus clémente pour lui ? Pourquoi ces gens ont voulu sa perte alors qu’en battant le blé, en l’égrenant, en le stockant, ils visaient la vie.
Que de questions que son entendement ne pouvait appréhender fusaient dans son esprit. Se lamentant, des heures durant, tantôt de son corps avachi, tantôt de son âme bafouée, Mehdi se torturait à vouloir expliquer ce qui lui arrivait et toute la hardiesse qu’il croyait avoir acquise, s’effilochait en ces instants de grande peine.
Dans son heure de misère extrême, il n’avait pas remarqué que le calme de la nuit avait couvert les cieux et que les quelques bribes de lumière du jour qui filtraient à travers les fentes de la trappe avaient cédé la place aux ténèbres.
La chaleur que le silo avait emmagasinée de jour commençait à dépérir, l’air suffoquant du jour se remplaçait par des filets d’air froids et glaciaux. Le silence tombal ajoutait une touche tragique à l’événement. Résigné finalement à son sort, avoué vaincu, le puni, par instinct de conservation, se recouvrit le corps de graminées qui retenaient encore la chaleur en profondeur.

La fatigue, aux effets psychique et somatique conjuguées, vint au bout de l’adolescent qui dans une posture d’inhumé, bien au chaud, à l’exception de la tête qui émergeait de cet amas céréalier que la providence a mis sur son chemin, peut être pour le préserver du froid et de sa nudité qu’il ne supportait pas lui-même, ferma les yeux et plongea immédiatement dans un sommeil profond.
Alors que la nuit avançait, un bruit de pas qui se rapprochaient, fit sursauter Mehdi qui à demi éveillé hésitait encore à donner raison à ses sens. Le rêve et la réalité étaient enchevêtrés dans son subconscient et affectaient sensiblement son discernement.
Néanmoins, il souleva sa couverture naturelle, se releva sur son séant et guetta le moindre son en direction des hommes d’en haut, des vivants. Lui le survivant d’en bas, le mort prochain qui se sentait désormais dans la demeure des ombres n’attendait plus de ceux d’en haut que le coup fatal qui l’enverrait dans l’au delà vers ses infortunés semblables.
Le son à peine audible au début d’intensifia et avec lui l’angoisse de Mehdi qui se soustrayant rapidement de son terrassement, alla se plaquer contre la paroi profonde du silo, au coin le moins exposé. Dans sa hâte et sa misère, il s’agitait sans s’en rendre compte en projetant, tel un chien mouillé, en guise de gouttelettes d’eau, des grains de blé encore collés à sa peau.

Finalement le tampon du trou d’homme pivota et la lumière d’une lampe à pétrole fraya les ténèbres.

- Mehdi, Mehdi où es tu ? Montres toi ! lança une voix d’homme.

Mehdi figé dans son coin ne répondit point et se contenta d’attendre. Sera-t-il tabassé encore une fois, serait-ce son méchant geôlier qui vient remettre une couche. Dans le doute, il se tut.

- Mon Dieu, il est peut être mort. Lança une voix de femme.
- Mehdi, se mit –elle à crier, c’est moi Fatna, tu n’as rien à craindre, je t’ai apporté tes habits, montres toi !
Un paquet, presque instantanément, tomba sur une butte de grain et se roula de côté.
Mehdi n’en croyait pas ses oreilles, la femme du Maalem qui s’est elle-même déplacée pour lui ? Il se savait apprécié par la gente féminine du Douar mais pas à ce point.

- Lalla fatna, se hasarda Mehdi, Dieu te garde, je veux que ce lieu soit ma tombe, je ne veux plus remonter, envoyez de la terre, du grain ou tout ce qui peut ensevelir, je n’ai rein à faire chez les vivants ingrats, la vie est trop injuste pour moi.

- Mon Dieu, je l’ai dit à Si Ali, le châtiment est trop démesuré. Cours vite chercher une échelle, il faut descendre le remonter tout de suite ! s’adressa Fatna à l’homme qui l’accompagnait.

En entendant ces propos, Mehdi commença à enfiler ses frusques ou ce qui l’en restait. Il savait pertinemment que Lalla fatna ne le laisserait pas partir en paix vers sa destination escomptée.

Après quelques tractations Mehdi fût contraint de quitter sa retraite involontaire.

Quand il fut debout devant Lalla Fatna,la face éclairée, elle ne put s’empêcher de s’écrier de stupeur et de désarroi, on aurait dit qu’elle aurait vu le diable. Les cheveux ébouriffés, un œil au beurre noir, une arcade sourcilière fendue sans parler des bleus et des écorchures sur les bras de l’adolescent, on aurait dit un revenant.
Elle pensa tout haut que Si Ahmed n’y est pas allé de main morte. Elle tira l’enfant vers elle et lui caressa les cheveux en signe de réconfort.
Mehdi ne comprenait rien aux lubies du sort, le geste aimable de cette bonne dame à l’opposé de la rudesse de son mari, lui fit verser des larmes brulantes et rebelles qui ruisselaient sur des pommettes difformes et éraflées.

dimanche 28 octobre 2007

Mehdi "Lbantouri" - (24)- Le silo aux grains (7)

Un jour, alors que Mehdi sortait son troupeau, Si Ahmed lui dit de ne pas trop s’éloigner du village car l’orage menaçait et cela pouvait devenir dangereux pour le cheptel du maalem (maitre).

Mehdi prit note et resta aux abords du village. Calfeutré dans sa djellaba, adossé à un arbre, dans une position confortable, il surveillait ses caprins, ovins et bovins sans se soucier du temps qu’il faisait. Mais le cumul de la fatigue de tous les jours, la position de tout repos qu’il a adopté lui jouèrent un mauvais tour. Il s’assoupit, baissant ainsi sa garde au destin qui était aux aguets et épiait les moments de faiblesse de sa victime pour lui porter une estocade.

Une demi heure plus tard, qui parut pour lui une éternité, il se réveilla en sursaut, écarquilla les yeux et se mit tout de suite à compter ses bêtes, convaincu que le sort était en perpétuel conflit avec lui et que celui-ci attendait le moment opportun pour lui déballer son invincibilité et sa rudesse.

Quand il découvrit la perte de ses trois bêtes, il comprit qu’il venait d’être lâchement agressé, au moment où il s’attendait le moins et s’apprêtait déjà à dire adieu à son travail.

Il reprit le chemin du retour avec l’espoir que ces trois chèvres auraient fait de même surtout qu’elles paissaient seulement à quelques cinq cents mètres du Ksar.

Arrivé à hauteur du Ksar, Mehdi avait la tremblote, non en raison du froid qui sévissait mais il pensait déjà au pire. Quand il vit Si Ahmed debout au coin de l’allée, les bras croisés, il sentit le roussi et savait que tout allait mal tourner pour lui. Mais il se disait toujours que les trois chèvres étaient sûrement retournées seules et que cela se passerait pour lui sans anicroches.

Quand il arriva à sa hauteur, celui-ci lui somma de faire rentrer les bêtes directement à la bergerie et de se présenter à lui immédiatement. Mehdi remarqua au passage qu’il n’y avait point de chèvres dans l’enclos, ni même dans la bergerie. Ses espoirs de clémence du sort s’évaporèrent incontinent et s’apprêta à passer un mauvais quart d’heure.

Une fois de retour chez Si Ahmed et sans aucune explication, Mehdi fut empoigné et poussé dans son réduit.
- tu ne bougeras pas d’ici jusqu’au retour de Si Ali !
- laisses moi, au moins, aller chercher les chèvres égarées avant que la nuit ne tombe.
- Pas la peine les trois chèvres ont été prises comme éléments de preuve par notre voisin Ouallal. Elles ont sautés la clôture de son verger et ont dévastés plusieurs lignes de laitue. Exactement comme cela s’est passé avec ton prédécesseur.
- Je vais alors lui demander pardon et ramener les chèvres répliqua Mehdi
- Oh cette fois-ci, il ne veut rien savoir, il est allé déposer plainte chez le chef de tribu et demande réparation du dommage causé.
- Je ne peux vraiment rien faire.
- Non absolument rien, j’ai pour consigne de te retenir dans ton réduit jusqu’au retour de Si Ali, alors ne me rend pas la tâche difficile, allonge toi sur ton paillasson et tais toi.

jeudi 25 octobre 2007

Mehdi "Lbantouri" -(23) - Le silo aux grains (6)

Beau programme en perspective, se disait Mehdi, mais le spectre de son père était tellement encore présent qu'il était prêt à tout pour rester loin dans le rural profond, prêt à s’envoler dans la nature et faire perdre sa trace. C'étaient ses seules envies du moment.

La première journée fût dure pour lui. Sous l’œil inquisiteur de Si Ahmed, qui voulait s’assurer que son garçon de bergerie connaissait bien son métier, Mehdi accomplit rondement sa tâche avec une aisance déconcertante.
Il reconnaitra plus tard que quand le troupeau est hétérogène et que le berger est obligé de gérer les humeurs plutôt galopantes des chèvres associées à celles des vaches plutôt nonchalantes c’est bien le pire des métiers sur terre.

Les journées se suivaient et se ressemblaient pour Mehdi. Ses employeurs remarquèrent son ardeur au travail. Il remplissait son contrat avec brio et en bonus, il donnait un coup de main dans le nettoyage des devantures de la maison, puisait l’eau, trayait les vaches rendant ainsi de fiers services à la maitresse de maison.
Par temps de pluie, où les sentiers n’étaient pas praticables pour conduire son troupeau, Mehdi accompagnait les hommes aux champs de plein gré et se défendait de rester les bras croisés.

Avec le temps il gagna l’estime de tout le monde dans le Ksar et notamment la gente féminine, à laquelle il dévoila ses connaissances, à son âge, de l’art culinaire.

Deux années s’écoulèrent alors que la colonisation rurale se développait d’avantage. 57 000 hectares de lots officiels furent distribués et près de 200 000 hectares achetés par des particuliers en 1922, tandis que le nombre d’immigrants européens augmentait sans cesse et atteignit 40 000 entre 1919 et 1922.

Les retombées de la premières guerre mondiale se ressentaient au Maroc par le rapatriement des rescapés de Verdun 1916, tous des goumiers blessés, pour la plupart estropiés, borgnes et souvent rafistolés à la hâte dans les camps des blessés.

lundi 22 octobre 2007

Mehdi "Lbantouri" -(22)- Le Silo aux grains (5)

A ce moment là Si Abdellah revient s’asseoir à côté et la discussion démarra tout de go autour d’un verre de thé.
- tu t’appelles comment mon fils ? Commença Si Ali.
- Mehdi
- Un nom qui n’est pas de chez nous
- Je viens en fait de très loin, je suis né à Marrakech, grandi entre Casa et Settat jusqu’à onze ans, ensuite Mogador et enfin les 3 dernières années dans le Douar de Khemiss Maskala.
- As-tu déjà fait le berger auparavant ?
- Oui, de temps à autres
- Bien, alors si Ahmed que voici va te prendre en charge pour te montrer ce que tu dois faire, tu seras logé, nourri et tu auras un réal par mois.

Si Ahmed enchaina tout de suite pour déballer tout le plan de charge de la nouvelle recrue. Il n’attendit même pas l’avis du concerné, complètement convaincu que celui-ci n’avait pas le moindre choix. Cela se lisait sur son visage. Mehdi devait alors s’occuper de faire paitre un troupeau hétérogène composé de chèvres et de vaches . Il devait nettoyer la bergerie, ravitailler les mangeoires en foin, les abreuvoirs en eau, traire les vaches au besoin….

Mehdi acquiesça de la tête, plus soucieux d’avoir un gît et de la nourriture que de négocier ses émoluments.

Si Ahmed lui montra tout de suite un réduit, pas très loin de la bergerie, où il n’y avait qu’un vieux paillasson à même le sol. Mehdi y déposa son balluchon et rejoignit sur le champ son nouveau contre maitre à la bergerie pour recevoir le détail des tâches qui lui incombent.
Il devait sortir, chaque jour, le troupeau, le parquer dans l’enclos, revenir ensuite à la bergerie, y faire place net, aller conduire le troupeau dans des pâturages indiqués selon un parcours précis pour ne pas toucher aux vergers mitoyens des autres fermiers du village. Surveiller toute la journée le cheptel, le ramener avec les mêmes précautions jusqu’à la bergerie. Alimenter l’auge et l’abreuvoir, refermer la porte et la cadenasser, remettre la clé à son contre maitre avant d’aller récupérer sa pitance pour s’engouffrer ensuite dans son réduit pour la nuit.

jeudi 18 octobre 2007

Mehdi "Lbantouri " - (21) - Le silo aux grains (4)

Arrivés devant la porte Si Ali se retourna et fit signe à Mehdi d’attendre un moment, puis il pénétra à l’intérieur.
Quelques minutes plus tard, il fût prié, par la même personne qui l’avait reçue le matin même, de rentrer. Il découvrira plus tard que ce grand gaillard était l’un des beaux fils de Si Ali ainsi que son future contremaitre.

Une fois à l’intérieur, plusieurs éléments retinrent son attention. L’accès donnait directement sur une cours à moitié couverte et entouré de préaux avec plusieurs arcades sur tout le périmètre. Les murs sont peints à la chaux, teintés en ocre jaune sur une demi-hauteur. Une fine bande bleue marquait la transition de l’ocre vers le blanc qui montait jusqu’au plafond.
A ce moment Mehdi fût invité de s’asseoir dans un coin sous le portique qu’il venait juste de traverser. Une fois sur un genre de matelas en alfa à même le sol et adossé au mur, il se pressa de reprendre de scruter l’intérieur de la maison au point où il fût interrompu.
Ainsi le plafond n’y réchappa pas et Mehdi découvrit qu’il était fait de planches bien découpées et montées d’une manière oblique sur des madriers bien travaillés en guise de supports, le tout bien poncé et peint en vert bouteille.
Mehdi avait alors un étrange sentiment. S’il avait à choisir, il aurait préféré s’adosser au mur nu et parsemé de brindilles de pailles de son asile d’hier plutôt que le mur peint de Si Ali. L’atmosphère, malgré l’aisance évidente de son nouveau employeur, était très lourde et Mehdi n’y voyait pas une once de la chaleur humaine inhalée à pleins poumons chez si Abdellah.
Comme quoi, se disait-il, l’argent n’est sûrement pas le seul ingrédient pour avoir le bonheur.

lundi 15 octobre 2007

Mehdi "Lbantouri" -(20) - Le Silo aux grains (3)

Cette attente imprévue au programme le gênait quelques peu. Il était pressé d’avoir une réponse et ne voulait pas être obligé encore de demander asile pour une deuxième nuit dans le village.
Le sort le languissait, le taquinait, ne lui donnait pas de prises faciles, sûrement parce que celui-ci savait qu’il avait affaire à quelqu’un d’obstiné, chacun dans ce bras de fer virtuel voulait avoir le dernier mot, c’était au plus fort, au plus résistant. Mehdi, lui ne se posait pas trop de questions, il fallait parer au plus pressé, trouver un travail, pour survivre. Il ne se lamentait point et bravait toutes les situations fussent-elles des plus inextricables, pour arriver à ses fins et se mettre à l’abri des aléas.
Ces réflexions lui prirent plusieurs heures dans la même position, qu’il ne changeait de temps à autres que pour reposer ses flancs.

Enfin, il aperçu au loin un attelage dévalé la pente à l’autre bout du village et comprit qu’il pouvait s’agir de Si Ali qui rentrait de voyage.
Il se releva, ramassa ses frusques et revint sur ses pas en direction du village. Il allongea la foulée dans le but d’intercepter l’attelage avant son arrivée au ksar de Si Ali.

Si Ali était l’une des rares personnes sinon la seule au village à disposer d’un attelage aussi bien confectionné.
Il s’agit d’une charrette à deux grandes roues en bois tirée par un mulet. Sur le devant du véhicule, un banc a été monté pour recevoir le conducteur et un passager. A l’arrière tout l’espace restant est réservé pour le convoyage de marchandises achetées ou produits à vendre.

Si Ali fut vite reconnu de par ses habits par Mehdi qui était déjà debout à l’entrée du Ksar. C’était un homme trapu, moustachu, vêtu d’une djellaba en laine blanche et d’un turban jaune ocre. Les doigts forts et poilus sur le revers de la main révélaient la force qui émane de cet homme sur lequel le poids des années ne semble avoir aucun effet.

- Salam Oualikoulm Si Ali,
- Oualikoulm Salam ?
- Je suis en quête de travail et M. Mohamed le premier habitant à l’entrée du village m’a dit hier que vous cherchiez quelqu’un pour travailler aux champs.
- Oui, mais ce fut il y a deux semaines. Par contre j’ai besoin d’un berger pour mes caprins et mes vaches, si vous êtes intéressés.
- Oui bien sûr
- Bien, alors, rentrons à l’intérieur et nous discuterons de cela.

Si Ali descendit du véhicule, Mehdi lui ouvrit le passage et lui emboita le pas, l’angoisse qu’il avait ressentie le matin commençait à se dissiper, il sentait que cet homme avait une personnalité assez forte et qu’il avait toutes les chances de s’entendre avec lui.

vendredi 12 octobre 2007

Mehdi "Lbantouri" (19) - Le silo aux grains (2)

Le chemin montait un peu et juste à la fin d’une succession de masures Mehdi s’arrêta devant un ensemble de logis collées les uns aux autres, et entourés d’un muret en pisé d’une hauteur d’un mètre environ. Une petite clôture, faite de pieux en bois mal élimés, placés en cercle et envahis par des ronces de toutes parts , indiquait l’emplacement du parcage des animaux. Un baraquement tout au fond, disposant d’un grand portail en bois complètement béant et rabattu sur le flanc gauche laissait apparaître dans la pénombre, des animaux de traite entrain de se gaver de foin.
Mehdi se disait que ce petit ksar devait appartenir à un riche propriétaire. Serait –il la personne qu’il recherchait ? En l’occurrence Si Ali dont si Mohamed venait de lui parler ?
Il décida de confirmer ces présomptions en demandant à un passant.

- Monsieur, que Dieu vous garde ! Est-ce bien là où habite Si Ali ?
- Oui Monsieur, prenez la petite allée et frappez à la première porte que vous trouverez sur votre gauche.

Mehdi remercia son informateur et s’engouffra dans l’allée pour rejoindre la maison indiquée, quand un homme, haut de taille en sortait et venait à sa rencontre.
Mehdi s’arrêta par respect pour l’attendre.

- Salamou Alikoum, que Dieu soit miséricordieux pour vos parents, je cherche Si Ali.
- Il n’est pas là, il est à Mogador, il ne rentre que ce soir.
- Je suis à la recherche d’un travail et on m’a conseillé de venir le voir.
- Ce n’est pas le travail qui manque, mais il faut attendre Si Ali, lui seul en décidera. Revenez après la prière de l’AASR.

Mehdi n’eut d’autres choix que de rebrousser chemin vers l’entrée du Ksar, sentant rivé sur lui, derrière son dos, le regard méfiant de son interlocuteur.

En quittant l’allée il prit la direction de la montagne, marcha sur quelques kilomètre et alla se mettre à l’ombre d’un arganier car le soleil s’approchait déjà du zénith. De sa position, il surplombait maintenant tout le village. Il voyait les habitants, les uns à proximité de leurs chaumières, les autres dans les champs et d’autres encore dans les vergers situés au point le plus bas du vallon. Chacun vaquait à ses tâches et Mehdi, les enviait pour cela et se disait, déjà à cet âge là, que l’homme est celui qui travaille. L’oisiveté et les loisirs ne représentaient rien pour lui, parce qu’il n’en a jamais goûté, ce trait de caractère ne le quittera plus jamais jusqu’à la fin de ses jours.
Il se voyait déjà dans les champs plié en deux, entrain de bêcher ou dans un verger entrain de colmater les nœuds des seguias (rabtat), chose qu’il maitrisait et pouvait entreprendre sans grande difficulté.

mardi 9 octobre 2007

Mehdi "Lbnantouri " -(18)- Le silo aux grains (1)

Aux premières lueurs de l’aube, Mehdi était déjà sur pieds, quand il fût rejoint par son hôte qui lui ouvrit la porte et lui indiqua le chemin du petit coin pour faire sa toilette.
En sortant de la porte Mehdi découvrit, hormis le chien aux aguets mais moins hostile que la veille, le paysage limitrophe à la masure qu’il n’a pu apprécier la nuit à son arrivée.
Le jour levant lui apporta des réponses aux questionnements qu’il se posait. La nature encore abasourdie par la gelée matinale, atone et muette, par respect pour les êtres commensaux qu’elle abrite, offrait, de très près à Mehdi des facettes qu’il ne lui connaissait pas. L’arganier, l’olivier, le thym vivant en symbiose dans un écosystème un tantinet féerique, de son point de vue, esquissaient un tableau peu commun à ses yeux. Un engouement que son hôte dont les sens habitués à son périmètre immédiat ne partageait pas avec son invité.
Après avoir fait un brin de toilette, prit un petit déjeuner Mehdi obtient de son hôte le nom d’un villageois qui cherchait un ouvrier pour travailler aux champs. Il le remercia pour sa bienveillance et prit la direction de la maison de Si Ali un employeur potentiel à ses yeux.

Il devait traverser tout le douar pour arriver à sa destination et chemin faisant, Mehdi sentait le regard des quelques passants matinaux se poser sur lui. Un étranger qui débarque dans ce petit bourg est vite repéré. Mehdi malgré son accoutrement propre à la région, il était dénoncé par son balluchon ainsi que par l’impression qu’il donne à vouloir scruter tout sur son passage. Son allure et sa démarche incertaines, aux yeux des autres, le trahissaient peu ou prou. Mehdi devait passer par un chemin muletier et sinueux qui se faufilait au milieu des masures, par endroit très étroit, au point qu’il lui arrivait de se mettre de côté pour laisser passer l’autre usager de la piste. Le salut « Paix sur vous » coutumier et implicite ne manquait jamais à ces croisements et dans n’importe quelle circonstance. Il avait déjà appris que pour pénétrer un nouveau milieu sans causer de remous, il fallait mettre ses nouveaux concitoyens à l’aise en respectant leurs us et leurs manières de vivre.

mardi 2 octobre 2007

Mehdi "Lbantouri" -(17)- Le sens de l'asile

A l’approche de la première chaumière, les aboiements d’un chien se faisaient entendre de loin, mais averti comme il l’était, Mehdi s’arma tout de go de deux gros cailloux et continua son chemin d’un pas assuré. Quand soudain les aboiements du chien s’estompèrent et un rayon de lumière vint couper l’épaisseur de la nuit juste au devant de lui.
Mehdi se retourna et vit une personne debout sur le seuil de la maison, entrain de calmer son chien. Celui-ci, comme désenchanté de ne pouvoir goûter au mollet du visiteur, poussait des cris mélangés de grognements qui en disaient long sur ses intentions.
Maintenant Mehdi était entièrement éclairé et salua le propriétaire de la main. La taille de l’enfant mit la personne en confiance qui s’enhardit à avancer vers lui pour s’arrêter à quelques mètres de la clôture en pisé qui entourait son logis.
Mehdi demanda asile pour la nuit et expliqua rapidement qu’il venait d’un douar à proximité de Khémis Meskala et qu’il était en quête de travail.
La demande d’asile fut acceptée et Mehdi fut prié de renter chez son hôte pour la nuit.
La nuit noire et le coin de l’œil qu’il usait pour surveiller le chien belliqueux devenu très pressant à l’approche de la porte l’empêcha de se faire tout de suite une idée sur l’extérieur du logis de son hôte.
Mais une fois à l’intérieur, il se retrouva dans une grande pièce où les murs tout en pisé laissaient apparaître par endroit des fétus de pailles bistrés donnant du relief aux enduits de terre. Deux troncs d’arbre découpés sans égards formaient un genre de péristyle et étayaient une longue traverse qui servaient de soutient aux poutrelles supportant le chaume de la toiture.
Un rideau en tissu masquait un passage vers l’arrière maison. La pièce est éclairée par une autre lampe à carbone accrochée à une esse elle-même suspendue au plafond.
A gauche, des tapis à motifs polymorphes rendant un noir lâche sur fond vermillon ou jaune foncé, étaient étalés sur un demi-périmètre de la pièce au dessus d’une grande natte en joncs entrelacés qui frôlait le coin du feu.
Sur la droite, un métier à tisser était debout et une ébauche d’une pièce en laine à rayures noires, laissait présager la venue au monde d’une défroque pour adulte. C'est sûrement une djellaba, au pire un burnous, se disait-il.
L’âtre où quelques bûches crépitaient encore, rompant ainsi le silence, rajoutait à cet intérieur, une beauté dans la simplicité.
Ce décor, quoique rudimentaire, n’était pas nouveau pour lui mais il y trouvait cette fois-ci quelque chose de différent. Il y sentait de la chaleur humaine, de la bonhomie. Mehdi s’assit et s’adossa incontinent au mur juste en face de l’ouvrage de laine. Ce climat de détente, cette sensation de sécurité, ajoutés à sa longue marche de la journée eurent raison de lui et le plongèrent dans une somnolence à laquelle il essayait de résister. Il fermait les yeux et les rouvrait par intermittence de peur d’être surpris par son hôte de fortune.
Mohamed, son hôte qui était pendant ce long moment passé de l’autre côté du rideau, revenait avec un plateau à la main, qu’il déposa aux pieds de son jeune visiteur.
Le thé qu’il venait offrir à son invité était en ces temps là une marque du bon recevoir inné chez ces gens là.
Mehdi raconta par bribe son histoire à son hôte qui lui promit de l’aider à trouver du travail.
Mohamed prit congé de son invité, après avoir soulevé un tapis à même le sol et le remit à Mehdi en guise de couverture.

samedi 29 septembre 2007

Mehdi "Lbantouri " -16- Le paysage contrasté

Il se trouvait debout sur une ligne de démarcation bien distincte, avec en face une contrée verdoyante et resplendissante et derrière lui un paysage funeste et lugubre qu’il aurait évité bien volontiers si le besoin ne l’y menât, surtout maintenant qu’il a vu cette apparition généreuse de la nature. Il se délecta un moment de ce délice tout en couleurs et ne pût s’empêcher de se dire que la nature, par le contraste des paysages qu’elle offrait, avait aussi ses hérésies. Comment appréhender à son âge la rudesse de la nature d’un côté et sa clémence de l’autre. Il n’y comprenait rien et s’expliquait difficilement cette lubie floristique.
Il sentit alors une bise fraiche lui caresser le visage, il leva les yeux, vit le soleil rougir et réalisa qu’il devait accélérer son allure s’il voulait arriver avant la nuit noire au village. Il abordait déjà une descente et vit les premières masures prendre forme au fur et à mesure qu’il se rapprochait. La présence du chien dont lui a parlé le voyageur ne l’inquiétait pas outre mesure. La période qu’il avait passée dans l’autre Douar, au contact de ce genre d’animal, lui a permis d’apprendre à se maitriser devant un chien et à repousser ses attaques à l’aide d’un gourdin ou de jets de pierres.

lundi 24 septembre 2007

Mehdi "Lbantouri" -15- La marche vers l'inconnu

Au fur et à mesure qu’il avançait, il faisait défiler devant ses yeux toutes les tâches qu’il savait maintenant faire. Mais il ne s’en enorgueillit point, car il se rappelait le jour où il était à Essaouira et où les enfants de son âge allaient à l’école alors que lui faisait la vaisselle, lui fils de surcroit d’un Adl lettré et averti. Il venait de déduire de cela que le bon sens était inné chez tout un chacun et qu’il ne s’acquière pas nécessairement par l’apprentissage et l’éducation. Néanmoins cette idée ne calmait point la rage qu’il avait contre son père car s’il y avait quelques choses qu’il ne lui pardonnait point, après les châtiments corporels, c’était bien ce manquement du devoir d’un père envers sa progéniture en matière enseignement.
A cet instant, l’apparition d’une silhouette au loin, tirant sa monture, le fit extraire de ses rêveries diurnes. C’était la première âme qu’il voyait depuis qu’il avait quitté Tlet El Hanchane.
Cela le tranquillisait quelque peu et se disait qu’il se rapprochait sûrement de quelques habitations où il pouvait déjà commencer à faire sa quête de travail.
Alors qu’il saluait au passage l’autre marcheur, qui arrivait en sens inverse, il lui fit signe de s’arrêter et lui demanda quelques informations.
Le prochain Douar était à une heure de marche mais n’apparaissait pas au loin en raison d’une légère montée.
Un chien méchant, duquel il faut se méfier, se trouverait au niveau de la première masure.
Non personne au village n’aurait besoin d’un berger.
Telles étaient les informations qu’il reçut de l’autre voyageur dans un dialecte berbère ponctué de gallicismes arabes. Mehdi avait appris le berbère durant les trois années de son séjour dans la région s’étalant entre Haha et Chiadma et le parlait couramment.
Arrivé en haut de la pente, Mehdi s’arrêta net, éberlué d’extase devant un paysage sublime qui s’offrait à ses yeux.
Une vallée, peu escarpée, toute en verdure se prolongeait à perte de vue si bien qu’on distinguait difficilement son flanc en ubac.
Mehdi n’en revenait pas, il se frottait les yeux, serait-ce la fatigue de la longue marche qui lui jouerait des tours ? Il se retourna et découvrit le chemin poussiéreux et désolant qu’il venait d’emprunter, se retourna à nouveau et découvrit ce paysage paradisiaque sorti de nulle part.

jeudi 20 septembre 2007

Mehdi "Lbantouri" -14- A la croisée des chemins

Le soleil était haut dans le ciel, quand Mehdi arriva à la patte d’oie de Tlat El Hanchane. Il fit une pause sous un arbre, sorti un morceau de pain de sa sacoche et tout en y mordant à plein dent, comme pour impressionner la férule du destin, il continuait à cogiter en pensant à son futur proche et notamment à la route à prendre maintenant qu’il est de nouveau à la croisée des chemins.Plusieurs supputations se bousculaient dans son esprit. Tant pis je reviens à Essaouira, je demande à la juive de me faire travailler et si tôt que j’aurai mis de côté quelques sous pour le voyage je quitte définitivement la région. Tout de suite il se détacha de cette idée car il risquait encore une mauvaise rencontre, une personne qui pourrait le reconnaître malgré que maintenant, plus basané et plus aguerri, il avait encore les traits du petit Mehdi le fils du « Adl » My Brahim. Alors je suivrai le chemin du muletier qui avait apparemment besoin d’un berger. Il se leva comme décidé à partir, pivota sur lui même et se rassit, laissa tomber son baluchon, ferma les yeux et s’assoupit un moment. Il se disait que le muletier a sûrement déjà quelqu’un pour s’occuper de ses moutons et qu’il ne pouvait pas l’attendre pendant trois ans. Un croissement de corbeau le réveilla subitement de son songe et machinalement, reprit son barda tourna le dos à Essaouira et s’engouffra à nouveau dans le firmament des valons du Haouz, il marmonnait qu’il n’avait plus le choix et pensait, en homme qu’il se sentait devenir, qu’il se devait d’affronter son futur et qu’il devait l’obliger à avoir lieu comme il se le dessinait. Désormais, il se sentait vraiment seul et n’avait d’autres artifices de conjurer le sort que de le défier. Il était maintenant disposé à travailler dans le premier douar qu’il trouvera sur son chemin.

lundi 17 septembre 2007

Mehdi "Lbantouri" -13- De nouveau sur les routes

Il avait maintenant 14 ans et se prenait déjà pour un jeune homme, sa carrure et sa stature brouillaient le jugement, il était bien sur ses jambes, ses yeux dénotaient une certaine hardiesse, qu’il se contestait de temps à autre à lui même en repensant à sa peur du scorpion encore toute fraiche.
Son ressouvenir de cet instant d’épouvante, lui rappelait toujours un tournant dans sa vie, tournant emprunté plus pour échapper à un lieu où pendant un court moment, il fut pris au dépourvu par le destin et où le sort l’avait si éventé que le fichu de sobriété et de courage qu’il portait tomba incontinent, mettant à découvert son visage d’enfant précoce.

Non sans avoir longuement remercié ses hôtes pour leurs magnificences, il quitta le douar alors que le soleil commençait juste à poindre à l’horizon. Il savait qu’il avait un long chemin à parcourir et s’angoissait déjà à l’idée de ne pas trouver de meilleures situations à celle où il était. Il avait pour seul bagage une besace qui contenait ses premières richesses, quelques habits qu’il avait troqués contre ses nombreuses journées de labeur, enfin, se disait-il, quelque chose qui m’appartient bien. Il venait de découvrir le délice de la possession et la joie de la propriété, honnêtement acquis.
Il s’en alla par le chemin qui l’avait conduit à ce douar d’un petit pas en se retournant de temps à autre comme pour se prouver à lui-même qu’il pouvait résister à la tentation de rebrousser chemin. Mais réellement, il se le reconnaitra à lui-même plus tard que plus il marchait et plus un pincement au cœur et un doute dans l’esprit le prenaient. La peur d’un lendemain sans visibilité le rattrapait et lui rappelait son état d’âme au jour de son arrivée trois ans auparavant.
Mais l’orgueil naissant, chez ce grand enfant, Mehdi savait déjà qu’il ne pouvait faire demi-tour sans que cela ne le discréditât aux yeux de tout le douar.Il se retourna résolument et pressa le pas pour s’éloigner rapidement et faire estomper l’enclin d’abdiquer qui le titillait encore.

samedi 15 septembre 2007

Mehdi "Lbantouri" -12- Le scorpion et le châtiment

Un soir, juste après le souper, alors qu’il s’apprêtait à dormir, son maître lui réclama à boire. Une bougie à la main, il alla vers la jarre d’eau pour remplir la carafe quand soudain il aperçut un scorpion noir aussi grand qu’un pouce qui escaladait la jarre. Pris de panique il laissa échapper la carafe en terre cuite de ses mains et revint en courant vers son maître, les yeux écarquillés d’épouvante.
Quand il eut raconté en bégayant sa mésaventure, l’homme se leva, comme pour aller voir, mais une fois à sa hauteur, il lui asséna un coup terrible sur la tête, le traitant de poltron et lui sommant de retourner vers la jarre. Mehdi sentait ses membres rivés de peur et de déception. La peur de revenir vers la jarre où la bête rodait encore et la déception parce que l’homme qui le croyait gentil et généreux, s’était soudain retourné contre lui. Il se sentait alors persécuté et son discernement des choses de la vie se mélangeaient dans son esprit. Il détala et alla voir la femme, les yeux rouges, au bord des larmes et lui demanda de l’aider à se débarrasser de la bête près de la jarre pour qu’il puisse ramener de l’eau à boire à son mari.
La femme munie d’un bâton, l’accompagna, écrasa la bête et lui remis l’eau de la jarre dans une autre carafe qu’il porta à son maître.
Cette nuit là, il ne ferma point les yeux, en raison d’abord de la peur bleue qu’il eut d’autres bêtes de ce genre et ensuite du comportement inhumain et sévère de son maître à son égard.
Alors que l’Emir Abdelkrim se révoltait au rif (en 1921) et décimait quelques quinze mille soldats espagnols, Mehdi devenu allergique à la violence qu’il subissait de la part de personnes que les liens de sang ou des circonstances ont mis sur son chemin, se révoltait à son tour et se jurait de repartir aux premières lueurs de l’aube. Il décida alors, après trois ans de calme et de plénitude, de quitter cet endroit où à son arrivée il espérait ardemment finir ses jours, tellement il s’y plaisait

mercredi 12 septembre 2007

Mehdi "Lbantouri" -11- Le garçon à tout faire (2)

La disponibilité de l’eau était de tout temps importante dans les foyers et surtout dans le rural. Il fallait donc puiser de l’eau souvent l’après midi pour en disposer très tôt la journée suivante pour les tâches ménagères qui commençaient habituellement à l’aube. Alors que le soleil penchait déjà dans le ciel, Mehdi s’empressait à remplir ses outres en eau pour rebrousser chemin au plus vite. Les porteurs d’eau se donnaient généralement un coup de main pour mettre et caler leurs ânées sur leurs ongulés.
Les eaux de source en ces temps là étaient saines et désaltérantes, parce qu’elles étaient naturellement protégées, situées souvent aux pieds des montagnes dans des contrées éloignées, encore vierges et inhabitées donc à l’abri des pollutions engendrées par l’homme.
Le seul risque de pollution qui existait alors provenait plutôt du contenant de stockage sous forme de jarres en terre cuite, sans couvercle ni protection.
Mehdi à son retour remplissait les jarres d’eau, ramenait l’âne à l’enclot, le dessellait, lui donnait du foin et rentrait enfin à la maison pour boire un bon verre de thé bien mérité.
Bien souvent il dormait tout de suite après, car les journées commençaient très tôt et il devait souvent, arroser devant la masure, avant d’entreprendre de balayer.
Les journées se suivaient et se ressemblaient pour Mehdi, mais n’y trouvait aucun dégoût, tant il était bien traité, mangeait à sa faim, dormait paisiblement. En retour, il se démenait comme un diable pour rendre service à ces bonnes gens qui l’ont accueilli et soigné.
Pendant ce temps là, il apprit mille choses, il suivait les attelages qui tiraient le cep pour les labours, épierrait quand c’était nécessaire, ensemençait comme un vrai laboureur. Au temps de la moisson, il apprit vite à manier la faucille comme personne et malgré son jeune âge, il battait le blé, l’égrener à la fourche, il s’intéressait à tout jusque dans les moindres détails et apprenait très vite.
Deux années passèrent et Mehdi n’avait jamais quitté le douar, chaque fois qu’on lui proposait d’aller à Mogador ou même Tlat El Hanchane, il refusait sec, ses blessures et son passé étaient toujours là et cela l’empêchait de vouloir quitter ce lieu de peur d’être découvert et de perdre ainsi la quiétude à laquelle il venait enfin de goûter.

mardi 11 septembre 2007

Additif de la région de Tlat Hanchane


La petite région encadrée est la patte d'Oie de Tlat Hanchane dont j'ai parlé après la fugue de Mehdi depuis Essaouira, où il passera près de 6 ans de sa vie.

lundi 10 septembre 2007

Mehdi "Lbantouri" - 10- Le garçon à tout faire (1)

La bonne femme qui l’accueilli chez elle en était très ravie car hormis l’aide physique pour les tâches fastidieuses qu’il pouvait assurer, elle trouva en lui l’enfant qu’elle n’arrivait pas à avoir et tant attendu, un don de Dieu venu pour récompenser sa longue patience.
Une nouvelle vie commençait pour Mehdi et les premières nuits étaient ponctuées de cauchemars où il se retrouvait nez à nez avec son père qui lui en voulait à mort et où il se débattait et gémissait pour se soustraire à son supplice chimérique.
Heureusement, le temps, la gentillesse et les soins de sa nouvelle maman lui permirent de retrouver sa sérénité. Les mois s’écoulaient et Mehdi par sa serviabilité et sa disponibilité auprès des voisins se fit rapidement apprécier et adopter. Il ne rechignait pas au travail, et faisait tout ce qu’on lui demandât sans retour.
Le seul souhait qui l’habitait était d’oublier très vite son tumultueux passé et retrouver une vie paisible.
Les tâches domestiques auxquelles il participait, l’occupaient presque tout le temps, la corvée d’eau lui prenait carrément la moitié de la journée. Chaque jours, il partait chaque après midi en tirant un âne chargé de quatre seaux en caoutchouc d’une contenance d’environ vingt cinq litres chacun, suivait un chemin sinueux qui longeait les murets en pisé jouxtant les masures des habitants du douar. Ces derniers étaient pour la plupart des agriculteurs et n’avaient pour toute richesse qu’un lopin de terre à cultiver.
Le chemin descendait vers un lit d’oued asséché, remontait ensuite sur plusieurs hauteurs. D’un pas cadencé, ponctué de petites foulées pour revenir à la hauteur de sa monture, Mehdi s’amusait sur tout le parcours, il avait retrouvé l’entrain des enfants de son âge. Il s’agrippait souvent à un arganier qui bordait sur son chemin et il contemplait au loin le village qui se dessinait dans la vallée lointaine. Sa monture continuait toute seule sur la piste qui menait vers la source, habituée qu’elle était, à prendre le même sentier chaque jour que Dieu fait. Mehdi descendait alors de son perchoir prenait ses jambes à son cou pour la rattraper, il savait qu’il était attendu au village pour l’approvisionnement en eau avant la tombée de la nuit.

jeudi 6 septembre 2007

Mehdi "Lbantouri" -9- Première Embauche

Mehdi eut l’idée de leur proposer de faire un bout de chemin avec eux. Il sortit de sa cachette, non sans les avoir quelque peu surpris. C’était des caravaniers sur le chemin du retour vers leurs douars, dans le triangle Tlet Hanchane, Korimat et Sidi Mokhtar.
Mehdi n’eut pas beaucoup de difficultés à les convaincre, il avait ressorti encore une fois qu’il était seul au monde et que ses parents étaient tous morts.
Les caravaniers le prirent en croupe à tour de rôle et se mirent à nouveau à discuter entre eux comme si de rien n’était. En ces temps là, les adultes ne prêtaient guère l’oreille aux enfants.
Mehdi, malgré son jeune âge, était d’une intelligence aiguisée et chemin faisant, il écoutait attentivement la palabre de ses convoyeurs de fortune, palabre assez bruyante en raison du vent qui soufflait en ce temps là. Il essayait, déjà de se faire une idée sur chacun d’eux, et se demandait lequel des trois pourrait être son hôte potentiel, celui qui pourrait l’héberger, voire l’adopter.
En recollant plus ou moins adroitement les bribes de discussion, il avait appris que le premier était marié, avait des enfants encore très jeunes et avait le besoin urgent de disposer d’un berger pour mener son troupeau dans les pâturages montagneux. Le deuxième, marié également mais sans enfants, souhaiterait plutôt avoir un garçon de ferme, pour donner un coup de main dans les tâches ménagères et domestiques. Le troisième, quant à lui, étant le plus jeune, vivait encore avec sa sœur et ne semblait pas avoir de besoin particulier.
Parvenus à Tlet El Hanchane, les routes des trois muletiers se séparaient, et le moment fatidique pour Mehdi était arrivé. Il devait prendre rapidement une décision, s’il voulait être embauché par l’une de ses personnes. Plusieurs scénarii se succédèrent dans sa petite tête et préféra en fin de compte offrir ses services pour la personne qui n’avait pas d’enfant et qui avait besoin de quelqu’un pour aider dans les menus travaux de la maison. Il s’argumentait pour son choix que ses nouvelles attributions lui seraient totalement familières puisqu’il ne faisait que cela quand il était avec son père.
Il n’hésita alors point et proposa ses services à Si Abdeslam, qui trouva là une opportunité à prendre, car l’enfant paraissait sincère et décidé.C’est ainsi que Mehdi, se retrouvait commis dans une maison du fond d’un douar quelques parts entre Essaouira et Chichaoua.

mardi 4 septembre 2007

Mehdi "Lbantouri" -8- La fuite en avant

L’enfant se confia alors à la juive, qui abasourdie par le destin de cet être qui n’avait pour seul reproche que d’être venu au monde au mauvais moment ou au mauvais endroit, lui remit un peu d’argent pour payer le prix du billet de train pour Marrakech.
Mehdi la remercia longuement et pris la direction de la gare. Mais chemin faisant, il cogitait déjà une fois à Marrakech à son devenir et alors qu’il marchait d’un pas décidé, il s’arrêta net, on dirait un jouet auquel la pile rendit l’âme. Il se gratta un peu la tête, leva ses yeux vers le ciel, tournoya et changea de direction. Il venait de se dire que s’il rejoignit son oncle, il risquait d’être immédiatement intercepté par son père et ramené à son point de départ.
Il abandonna ainsi l’idée de prendre le train et conclue de quitter la ville à pieds à la recherche d’un gîte aux abords d’Essaouira.
Il marchait déjà sur la route depuis fort longtemps, la journée était lumineuse malgré un temps brumeux, il faisait un calme et un silence trompeurs, ponctués de temps à autre par le bruit que faisait un vent intermittent et glacial sur les talus et les arbres quasi dégarnis.
Maintenant, la vue se dégageait à lui et bien que la peur du vide le tenaillait, il avançait ardemment, car pour lui, la seule frayeur qu’il ne pouvait supporter est celle de se retrouver encore une fois avec son bourreau de père.
Alors qu’il tapotait des pieds dans les cailloux, il fut surpris d’entendre un bruit, peu commun, qui ne prenait pas essence de la nature, et qui rompait le calme auquel ses sens commençaient à s’habituer. Il s’arrêta un moment comme pour identifier son origine et s’aperçut que le son qu’il percevait s’accentuait de minute en minute. Il se précipita derrière un talus s’y atterra et de temps à autre jeta un coup d’oeil furtif dans la direction d’où naissait le bruit.Soudain, au tournant qu’il venait juste de dépasser, il voyait apparaître trois muletiers, bien enveloppés dans leurs burnous de laine blanche. Ses craintes alors se dissipaient au fur et à mesure qu’ils se rapprochaient car en les scrutant, de la tête au pieds, il ne vit point de chapeau melon rouge caractéristique du couvre chef de son père.

jeudi 30 août 2007

Mehdi "Lbantouri" - 7- La bonté d'une juive

Il faisait un froid terrible, Mehdi voulait d’abord manger, puis trouver le moyen de prendre le premier train en partance pour Marrakech. Le bon souvenir qu’il a gardé de son bref séjour chez son oncle et sa tante, lui dictait ce choix.
Il s’adressa alors à un gargotier pour manger, se réchauffer et se renseigner sur le moyen d’arriver à la ligne du chemin de fer. Le propriétaire lui demanda s’il avait de quoi payer, mais voyant que l’enfant n’avait qu’un réal en poche, il lui proposa de lui acheter sa djellaba contre un repas et quelques sous supplémentaires. Cet échange profitait bien sûr à l’acheteur, mais l’enfant n’y réfléchit point, la seule vue de la bonne chaire exposée dans un buffet, renforça son mobile et se dévêtit, mangea un menu repas et resta blotti dans un coin du restaurant pour se réchauffer alors qu’il n’avait plus sur lui qu’une chemise en toile kaki et un pantalon marron à rayures bleues, par endroits délavés, mais propre.
Mehdi s’était assoupi un moment en rêvassant à son future proche, quand soudain il fût réveillé en sursaut par le restaurateur qui ne voulait pas de dormeur chez lui. Le petit sans ménagement fut jeté dehors. Il se résigna, devant la force et l’intransigeance du gargotier et longea la même allée et s’engouffra presque machinalement dans une auberge qui faisait le coin. Le froid roidissait ses jambes et son torse et ne pouvait que chercher le premier refuge qui se présentait à lui.
L’aubergiste, une femme juive, dont la corpulence était imposante, intercepta Mehdi, tout grelottant et s’enquit de son état, elle avait tout de suite reconnu en lui un enfant dont la peau blanche et la face sans anicroche ne faisaient pas de lui un enfant de la rue. Sa tenue légère renforça ses soupçons et lui demanda ce qu’il faisait ainsi vêtu par un temps pareil.
Mehdi, lui raconta alors, comment il venait de perdre sa djellaba et le prix qu’il en avait eu. L’aubergiste, sortit de ses gonds, se mit à injurier le « mouchlem » qui avait profité de la crédulité de l’enfant et envoya derechef un de ses serveurs chercher le restaurateur en question.
Quand il fut devant elle, elle l’empoigna fortement par la main, le secoua et le somma de rendre sur le champ la Djellaba à l’enfant sans quoi, elle le dénoncerait aux gendarmes (les juifs, en ces temps là, étaient très appréciés par les Français). Le gargotier n’eut d’autres recours que de s’exécuter de peur de s’attirer les foudres de guerre de l’occupant.
C’est ainsi que Mehdi recouvra sa Djellaba, grâce à sa bienfaitrice providentielle. Ce fut pour lui une leçon qu’il n’oubliera jamais, une leçon sur la condition humaine, comment une femme qui n’était pas de sa religion pouvait elle le défendre contre un marocain et de surcroît un musulman ? Cet évènement affecta quelque peu son référentiel et pensait désormais que pour lui, être bon ou mauvais n’était point relié à la religion ou à la race.

dimanche 26 août 2007

Mehdi "Lbantouri" -6- le déclic et le départ

Une nuit My Brahim demanda au gamin de rester éveillé sous la lueur de la bougie jusqu’à son retour. Mais le père comme à l’accoutumé tarda beaucoup au point que la bougie s’éteignit et la chambre envahie par le noir sombre, apeurait l’enfant qui ne trouva d’autre refuge que dans le sommeil, il ferma les yeux et s ‘endormit incontinent.
Quand son père arriva, il frappa à la porte, mais le petit était depuis longtemps dans un sommeil profond et ne l’entendit point. Il insista un moment, puis força la fenêtre et pénétra dans la chambre. L’enfant était endormi dans un coin sombre de la chambre, la bougie était totalement consumée. Le père ne se posa pas de question, n’hésita point, se rua sur le corps allongé de l’enfant, qu’il roua de coups de bâton.
Le petit Mehdi ne savait s’il rêvait ou s’il était éveillé, ce n’est que quand son dos traumatisé, lui fit mal et la silhouette de son père se dessinait devant lui qu’il sut ce qu’il lui arrivait. Sa petite tête quoique aguerrie par la férule du destin, appréhendait difficilement le supplice que son père lui infligeait.
Il sauta de son lit, enfila sa djellaba et sorti sur les toits en courant pour se soustraire aux injures et vociférations de son père. Il passa le reste de la nuit adossé à la cheminée des voisins encore tiédie par la chaleur emmagasinée de la veille.
Au petit matin, le corps plein d’ecchymoses, l’enfant après avoir longtemps pleuré son sort, se remit à sa corvée quotidienne.
Une semaine plus tard, c’était l’Aid « Al Maoulid » et Mehdi éreinté par les travaux de tous les jours se réveilla ce matin là plus tard que d’habitude, descendit les escaliers pour saluer son père et lui souhaiter une bonne fête.
Mais sur le premier palier, il rencontra son père avec un voisin et quand il voulu lui baiser la main, celui-ci la retira violement et lui asséna une taloche sur la joue si forte qu’elle le fit tomber à la renverse, avec pour seule raison de ne pas s’être levé plus tôt en cette journée de fête. Le bourreau repoussa l’enfant, encore à terre, du pied, avec mépris pour dégager le passage et s’en alla furibond sans se retourner voir son forfait.
L’enfant ébahi, laissé à même le sol, parcourait des yeux son agresseur au fur et à mesure qu’il descendait les escaliers. Il scrutait ce personnage qui l’avait mis au monde et qui le traitait comme un vulgaire esclave, depuis ses babouches ocres à sa djellaba en laine blanche à son couvre chef rouge, il ne voyait plus en lui qu’un être maléfique qui voulait sa perte, sa haine fut à son paroxysme. Ce fut en cet instant précis que le petit Mehdi, précoce et écoeuré, déduisait que dans ce bas monde, l’enfant est ce que son père veut. Il venait de jeter un regard de dédain et de répugnance qui le poussèrent à partir très loin de son père dusse-t-il voyager de nuit et de jour vers un lieu reculé dans l’arrière pays.
Il se releva, remonta nonchalamment les escaliers, alla dans la chambre, mis sa djellaba de laine qu’il tenait de son oncle et s’éclipsa en dehors sans éveiller les soupçons.Alors que les enfants de son âge festoyaient, le petit Mehdi, se dirigea vers la sortie de la ville. Il avait en poche un Real et n’avait pour seul objectif que de fuir son père, cet être immonde qui le maltraitait comme un esclave.

samedi 25 août 2007

Mehdi "Lbantouri" -5- la reprise de l'enfant par son père

Mehdi fut de nouveau abandonné à son sort, alors que Si Abdellah tirait ses montures, l’enfant resta pensif, les larmes aux yeux, ne sachant que faire, tourna en rond pendant quelques instants, puis s’adossa à un mur. Il ne savait où donner de la tête, des deux situations qu’il venait de vivre, la deuxième avec Si Abdellah était de loin la meilleure. De toute manière, il ne pouvait rentrer chez son père, sans s’attendre à un châtiment atroce, chose qu’il ne supportait plus et appréhendait beaucoup. Il décida alors de rebrousser chemin à pieds comme il l’avait fait la première fois vers la masure de Si Abdellah, lieu où le bonheur, la sécurité lui étaient au moins assurés.
En rentrant le soir de Casa, Si abdellah fut surpris que ce petit bout d’enfant, l’avait précédé et l’attendait à quelques mètres de la maison. L’enfant lui raconta alors la vérité à propos de son père et la vraie raison de son départ. Les larmes de l’enfant eurent raison de Si Abdellah et de sa femme qui était venue à leur rencontre. Ils finirent alors par céder et le gardèrent avec eux.
Tamou, la méchante femme qui en avait après lui et l’avait reconnu lors de son passage chez si Abdellah, n’avait pas perdu de temps et vendit la mèche à son père. Celui-ci divorcé de nouveau, vint le déloger une semaine plus tard du paradis où il vivait. Non sans l’avoir battu devant la famille qui l’avait accueilli, il le traîna de force et l’emmena avec lui. Arrivés à Casa, firent leurs bagages et prirent le lendemain le car pour Essaouira où ils allaient s’installer définitivement. My Brahim loua avec son fils une chambre sur les toits.
Le père sortait chaque matin au travail et laissait le petit Mehdi avec les tâches ménagères qui dépassaient des fois ses forces et son entendement. L’enfant devait se lever à l’aube, chauffer l’eau, préparer le parterre, laver le linge, le mettre à sécher. Il restait des journées entières le ventre creux et ses membres roidissaient par le froid glacial du Mogador. Tandis que le père s’empiffrait de victuailles, l’enfant se tordait de faim et se suffisait des restes que les voisins lui offraient de temps à autre.

vendredi 24 août 2007

Mehdi "Lbantouri" -4- Le premier refuge

Voilà déjà un mois que Mehdi était chez ses gens là, il s’y plaisait tellement, qu’il ne comptait plus les jours, l’appréhension qu’on le retrouvât un jour le serrait de temps à autre à la gorge, mais il s’en défaisait en s’occupant à faire mille et une chose. Pour la première fois, il sentait qu’il faisait un travail de son propre gré, un travail pour honorer ses engagements envers ses personnes généreuses qui lui ont ouvert leurs bras et leur demeure.
Mais il était dit que cet enfant n’était pas né pour être heureux car au courant de la première semaine qui suivait, une femme « Tamou » était venue rendre visite à ses nouveaux hôtes. Dés qu’elle eut fixé l’enfant, elle le reconnu instamment et demanda à si Abdellah, d’où il le connaissait. Celui-ci lui raconta l’étrange circonstance de son arrivée chez eux. Tout de go elle les mit au courant qu’il avait bel et bien un père qui s’appelait My Brahim, un Adl, de mèche avec les occupants, qu’il avait le bras long et qu’il risquait s’il venait à apprendre qu’ils hébergeaient son fils de leur causer beaucoup d’ennuis.
Si Abdellah et sa femme ne dirent rien sur le coup à l’enfant et décidèrent alors de s’en séparer. Mais le petit Mehdi, rien qu’aux regards de ses hôtes sentit que quelques choses venait de se tramer derrière son dos. Il ne disait rien et attendait la suite.
Pour se ravitailler Si Abdellah allait à Casa chaque quinze jours et généralement accompagné de sa femme. Mais cette fois-ci, sous prétexte que sa femme était fatiguée, il demanda à Mehdi de l’accompagner pour lui donner un coup de main. Mehdi, s’exécuta malgré sa réticence et sa peur bleue de cette contrée. A dos de mulet, ils partirent tôt un matin pour Casa et chemin faisant, Si Abdellah, annonçait déjà la couleur , en demandant à Mehdi, s’il n’avait pas d’autres parents proches à Casa ou ailleurs. Les craintes de Mehdi se confirmèrent et sentit que son hôte voulait gentiment se débarrasser de lui.Alors qu’ils arrivaient à Mediouna, Si Abdellah mit pieds à terre, fit descendre le petit et lui dit clairement qu’il ne pouvait le garder chez lui, sans que cela ne lui apportât un préjudice.

jeudi 23 août 2007

Mehdi "Lbantouri" -3- La fugue

Avec la fin de la première guerre mondiale, Mehdi venait d’achever ses onze ans, mais n’était toujours pas soustrait aux mauvais traitements et sévices qu’il subissait. Les beaux moments qu’il avait passé au vivant de sa mère et encore ceux avec son oncle, lui étaient devenus nostalgiques et bien souvent, il lui arrivait de rêver de ces instants doucereux après avoir pleuré une bonne partie de la nuit.
Un jour qu’il faisait sa tâche de livreur de quelques caftans à des clients, il fut intercepté par un porteur d’eau ( Guerrab) qui le pria d’aller lui faire une petite emplette. Celui ci lui remit un guerch ( 5 guerchs = 1 franc) et se proposa de lui garder son paquet jusqu’à son retour.
L’enfant, innocent et naïf, ne savait pas qu’il se faisait escroqué par un voleur attitré qui se faisait passer pour un Guerrab et qui en avait en fait après son paquet. A son retour, la petite emplette à la main, Mehdi ne retrouva plus ni le Guerrab, ni son paquet. Il venait d’apprendre sa première leçon dans la vie, ne se fier à personne.
Pris de panique, de peur, sachant qu’il était battu sans raison par son employeur, il savait dés lors qu’il risquait d’être cette fois ci écorché vif, maintenant qu’il s’est fait subtiliser les caftans, fruits d’un dur labeur de ses maîtres tailleurs. La seule voie de salut était alors la fuite. Il n’hésita point et pris la première direction qui se présentait à lui, longea de longs boulevards à casa, la tête emplie de pensées confuses. Il marcha très longtemps, le jour tombait et ses membres s’engourdissaient, quand il arriva à hauteur d’un petit douar dans la banlieue de « Dar El Bida ». Il se dirigea vers la première masure qu’il trouva sur son chemin et demanda asile à ses occupants à qui il raconta sa dernière mésaventure. Questionné à propos de ses parents, il répondit qu’il était seul au monde et qu’il les avait perdu depuis sa naissance.
Voyant que ses hôtes de fortune s’étaient incontinent attendri, il se hasarda et leur demanda de rester chez eux, de travailler pour eux et ne demanda en retour que d’être logé et nourri.
Mehdi croyait l’avoir échappé belle, il était maintenant traité comme un être humain, plus de châtiments corporels, plus de privations et rendait de son côté de fiers services à ses nouveaux maîtres.

mercredi 22 août 2007

Mehdi "Lbantouri" -2- l'enfant asservi

C’était son destin, le chemin que le Dieu lui avait tracé. Il venait de boucler les cinq ans et son oncle prévoyait de l’inscrire dans l’école coranique du quartier, mais celui qui l’avait abandonné, son père venait de se remarier et tout d’un coup se rappelant qu’il avait un fils et qu’il se devait de le garder avec lui, maintenant qu’il avait une femme pour s’en occuper, il en réclama la garde. Adl de profession, il n’eut aucune difficulté à réaliser son dessein.
Avec cette décision, la roue tourna et les vents qui étaient jusque là favorables à Mehdi se retournèrent contre lui. Depuis il vécut mille supplices de la part de son père qui en fit un servant polyvalent et docile, bon à tout faire, et chaque fois qu’il rechignait, il se faisait tabasser durement.
Son père, comme cela ne lui suffisait pas avait jugé bon d’installer Mehdi chez un tailleur de Caftans comme commis et recommanda à ses employeurs de mater la bête chaque matin en lui distribuant quelques beignets bien chauds même s’il fut sage.
Un enfant, tout juste sorti d’un rêve doux et fabuleux, se retrouve tout de go dans les gouffres de l’horreur et de la servitude humaine, l’ignorance étant de mise chez ses bourreaux de circonstance. Etre réduit à l’âge de cinq ans à faire de menus travaux dignes des temps de l’esclavage, être privé de ses droits les plus élémentaires, celui de jouer, celui d’étudier, celui d’être compris et protégé ; tout cela était difficile à appréhender par Mehdi. Il subissait tout sans savoir que ses droits sont bafoués, mais le contexte et la situation du pays l’empêchaient d’y voir clair. Tous ses proches, vivaient dans la peur, l’incertain et ces sentiments se transmettaient à lui implicitement. En effet le temps était à la guerre car prés de 35000 marocains ont été engagés de force par l’armée française en 1914 pour renforcer les troupes françaises, beaucoup mourront d’ailleurs, à Verdun en 1916. Les étapes de l’enfance, si on peut parler ainsi, avaient fui ces contrés depuis belle lurette et les enfants comme Mehdi étaient très précoces, n’avaient ni le droit ni les moyens de jouer et la plupart passait à l’âge adulte sans s’en rendre compte

mardi 21 août 2007

Mehdi « lbantouri »-1- Le premier cri


Mehdi pousse son premier cri que sa mère et son oncle accueillirent avec une joie contenue car il faisait un temps à ne pas mettre un chien dehors, non en raison de quelques tornades ou intempéries, mais parce que les troupes Françaises, alors en faction au Maroc en 1907 avaient instauré un couvre-feu. Un couvre-feu suite à l’assassinat de quelques ressortissants européens lors d’une émeute à Casablanca.
C’était les prémices d’un futur protectorat qui se dessinaient et ce nouveau né, comme beaucoup d’autres, était venu au monde à un moment où le Maroc vivait sous le règne du Sultan My Abdelaziz. Celui-ci fut d’ailleurs renversé une année plus tard (1908) par les Français et remplacé par le Sultan My Abdelhafid, jugé plus dévoué par Paris.
De père Chaoui et de mère Marrakchie, cet enfant était chéri par sa mère qui le cajolait et le gâtait avec le peu de moyens dont ce couple disposait.
Quand il eut atteint son 3ème printemps, alors que les premiers émigrés marocains arrivaient en France (1910) il fut appelé au chevet de sa mère qui rendait l’âme. Il se rappela seulement que sa mère lui cracha dans la main et pria le tout puissant de le protéger et de veiller sur lui.

La mère mourut, le père n’en voulant point, l’enfant fut confié à son oncle, assez aisé à l’époque, qui avait sept filles et qui raffolait d’un garçon. Si Ahmed, venait d’hériter de Mehdi comme neveu et se promis en mémoire à sa sœur de garder le cap et de continuer à lui prodiguer les meilleurs soins possibles. Sa femme d’ailleurs était d’une gentillesse sans égale et s’en donnait à cœur joie.
Une année venait de s’écouler alors que Mehdi, commençait un tantinet à se remettre de la perte de sa mère ou plus simplement il oubliait. Ce fut le temps où le Sultan My Abdelhafid fit appel aux Français pour libérer la ville de Fès, alors assiégée par les tribus insurgées du centre sud du Maroc. Ce fut également le moment où une canonnière allemande mouillait au large des côtes d’Agadir. Les allemands mirent la pression sur les Français pour se partager le butin (le Maroc) et arrivèrent à un accord unanime, les autorités Marocaines en ayant été exclues. Le Maroc fut donc pour les Français contre le congo pour les allemands.
Le destin du Maroc venait d’être scellé, le protectorat sera imposé au sultan le 30 Mars 1912. Une zone d’influence est confiée à l’Espagne au Nord du Maroc, le sultan My Abdelhafid est contraint d’abdiquer au profit de son frère My Youssef et le Général Lyautey est choisi comme résident général au Maroc.
Voici la matrice et le contexte où Mehdi avait fait ses premiers balbutiements. Un enfant abandonné par son père, à un moment où le pays était sens dessus- dessous, où des dizaines de milliers de Français débarquaient au Maroc, où les couvre-feux se succédaient, où l’insécurité se ressentait jusque dans les contrées les plus retirées. ........